Près de 10000 personnes ont fait le déplacement jusqu’à Montréal, au Canada, pour assister à cette 24e conférence mondiale sur le sida AIDS 2022. Ce n’est en fait même pas la moitié des moins bonnes années. En effet, beaucoup de gens, tant pour assister à la conférence que pour présenter leurs travaux, ne sont pas venues en personne mais ont assisté à la conférence à distance. Malgré cela, les couloirs du centre de conférences de Montréal étaient bien animés et le village mondial, bien que fortement réduit en taille comparé à l’édition 2018 d’Amsterdam, a connu de grandes heures d’effervescence.
Présentation de la conférence
Mais il faut aussi souligner que cela na pas toujours été simple de se rendre au Canada pour cette conférence. Dès la cérémonie d’ouverture de nombreuses voix se sont fait entendre pour fustiger et réclamer des comptes aux autorités canadiennes qui ont refusé de nombreux visas à des demandeurs désireux d’assister à cette conférence. Cela a même fait reculer le Ministre qui devait participer à l’ouverture de la conférence et qui a préféré s’abstenir. Courage, fuyons. Cela a aussi provoqué l’ire des activistes qui regrettent que cela puisse avoir lieu dans une conférence organisée dans un grand pays démocratique. Renseignements pris auprès de l’IAS, Montréal était le plan B pour cette année. Le premier choix avait été l’organisation de la conférence à Bangkok. Mais face à l’exigence rédhibitoire des autorités thaïlandaises de s’immiscer dans les choix du programme de la conférence, l’IAS s’est retranché sur son deuxième choix, Montréal. C’était sans compter sur une certaine désorganisation de l’administration des frontières qui s’est révélé incapable de faire face à l’afflux de demandes.
Et voilà relancé le vieux débat sur l’organisation de ces conférences que les sponsors préfèrent au nord, plus près de leurs marchés, et les activistes au sud, au cœur des populations les plus touchées et les plus vulnérables. Le débat a souvent été tranché par les pragmatiques, sur les lieux où il est possible de faire venir sans discriminations et en toute sécurité 20 à 30 mille personnes dans un lieu adéquat pour tenir ce grand rassemblement. A l’heure qu’il est nous savons déjà que la prochaine conférence scientifique de l’IAS se tiendra à Brisbane, en Australie, en 2023 mais rien n’est arrêté pour la AIDS 2024.
Mais venons-en à cette 24e édition de la conférence. L’impression d’ensemble partagée par beaucoup d’acteurs et de participants a été que cette conférence était molle. Un qualificatif qui mérite d’être explicité. En nombre de sessions, rien à dire, le programme est comme d’habitude pléthorique. Sur le contenu, c’est plus difficile à analyser. Il faut distinguer la masse impressionnante des sessions satellites qui sont le fait des nombreuses organisations souhaitant présenter leurs travaux et partager leurs vues dans « leur » session. Ainsi l’ANRS organise à chaque fois sa session spéciale.
Il y a ensuite un grand nombre de symposiums à sujets les plus variés, couvrant les six thématiques de la conférence que sont (A) la recherche fondamentale, (B) la recherche clinique, (C) la recherche en prévention, (D) les sciences sociales et comportementales et la recherche en implémentation, (E) les sciences économiques, la recherche en implémentation et les systèmes et synergies avec les autres secteurs de la santé et du développement et (F) les sciences politiques, le droit, l’éthique les politiques et les droits humains. Et pus il y a les sessions qui permettent à des chercheurs de présenter leurs résultats de recherche et enfin les sessions plénières et spéciales, ouverture et clôture notamment.
Ce qui ressort des nombreuses sessions auxquels nous avons assisté, c’est l’impression qu’on est en fait à un stade un peu statique, sans grands résultats faisant effet d’annonce, dans l’attente de nouveaux aboutissements et dans la recherche de solution pour surmonter l’apathie que deux années de COVID ont provoqué dans la progression du combat pour l’éradication du sida.
Significativement, hormis l’ouverture et la clôture, deux sessions seulement ont vraiment rempli la salle de plénière : d’une part la session spéciale qui faisait le point des connaissances sur la variole du singe et d’autre part la session plénière du dimanche midi, dite la « grand’messe » intitulée « le VIH en 2022 et au-delà : la vision du NIAID ». Il s’agissait bien entendu de la vision de son directeur, le célébrissime Antony FAUCI qui, depuis qu’il a tenu tête sur le COVID à Donald Trump pendant sa présidence, est sans doute la personnalité la plus célèbre du monde du sida. Il ne faut pas non plus négliger que les Etats Unis, avec le plan PEPFAR (President’s emergency plan for aids relief) est de loin le plus grand dispendeur d’aide sur le sida de la planète. Mais Tony FAUCI lui non plus n’était pas présent mais a donné son allocution depuis son bureau.
Mais alors, de quoi a-t-on le plus parlé dans cette conférence ? Un mot a sans doute été prononcé dans pratiquement chaque session : implémentation. Il figure aussi dans un grand nombre de titres de sessions et c’est très significatif.
Les grandes attentes dans le domaine de la recherche sont actuellement le vaccin et plus largement le champ de la rémission du VIH dit « HIV cure ». Dans ces deux champs de recherche qui ont eu droit à leur session plénière, les avancées sont lentes et se font attendre. Pour le reste, la lutte contre le sida a aujourd’hui un objectif clair, fixé par l’ONUSIDA, l’éradication du VIH. Les étapes intermédiaires pour y arriver, le 90-90-90 en 2020 et maintenant 95-95-95 en 2030 (95% de personnes atteintes diagnostiquées dont 95% sous traitement dont 95% ont une charge virale contrôlée) peine à être atteint alors qu’on a des outils inégalés jusque-là : traitements efficaces, maintenant traitements de longue durée et prophylaxie pré-exposition (PrEP). Qu’est ce qui fait défaut ? le dépistage semble plafonner, le traitement n’est pas encore universel, la prévention n’atteint pas tout le monde, la PrEP est un dispositif fantastique mais qui touche trop peu de gens. La solution ? Im-plé-men-ter !!! Développer les solutions de dispensation, courir après les populations clés, les populations vulnérables, discriminées, éloignées du soin, chercher partout où l’on a pu avoir des loupés… Tout ceci est tellement dépendant des populations et des contextes locaux que la seule chose que partagent tous les acteurs de cette lutte est le goût du travail acharné et des efforts incessants. Ça n’apporte pas du rêve et ça fait une conférence, soucieuse, fiévreuse, concentrée et… molle.
Mais heureusement les nombreux activistes du monde entier ont profité de l’occasion pour se rassembler et apporter autant d’animation qu’il a été possible dans cette conférence. Des protestations contre les gouvernements, sur la lenteur et le manque de volonté politique, sur les profits scandaleux et les prix excessifs de l’industrie pharmaceutique au sud.
Quant au village mondial, il a résonné de rires et de sonos tonitruantes. Tant pis pour ceux qui ont observé ça de loin, ils ont raté ce qui fait de ce grand rendez-vous un lieu incontournable de la lutte contre le sida. Au final, cette conférence, malgré tout était belle.
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