Une équipe australienne s’est livrée à une modélisation afin de calculer le risque cumulé de transmission du VIH sur une longue période au sein de couples sérodifférents en cas d’abandon du préservatif, le partenaire séropositif présentant une charge virale indétectable. Les résultats sont loin de corroborer l’optimisme de l’avis suisse. Sur 10 000 couples, au bout de 10 ans, les chiffres sont : 215 séroconversions de femme à homme, 425 séroconversions d’homme à femme et 3524 d’homme à homme.
L’article présenté est une étude australienne, menée par l’équipe du Docteur Wilson, du National Centre in HIV Epidemiology and Clinical Research de l’Université de Sidney : Relation between HIV viral load and infectiousness : a model-based analysis. Parue en 2009, elle se pose comme un complément de l’avis du Bulletin des médecins suisses [1] médiatisé par le Professeur Hirschel, qui a abouti à une sorte de consensus généralisé selon lequel une personne séropositive au VIH sous traitement antirétroviral efficace présentant par là une charge virale indétectable (à savoir moins de 40 copies par ml de sang) et en l’absence de toute autre IST (chez l’un ou l’autre des deux partenaires) ne peut pas transmettre le VIH par voie sexuelle.
L’équipe dirigée par Wilson souligne que d’autres études (l’étude menée à Rakai en Uganda et une autre en Espagne) corroborent le lien entre charge virale au VIH et infectiosité : moins la charge virale est importante dans le sang et les liquides sexuels, moins la personne porteuse du VIH est contaminante. Néanmoins, si, à charge virale indétectable, le risque est extrêmement faible, il n’est pas nul.
C’est là toute l’ambiguïté de l’avis du Bulletin des médecins suisses : s’il a le mérite de sécuriser les relations au sein des couples sérodifférents en mettant à sa juste place les risques de transmission du VIH à l’échelle d’un seul rapport sexuel non protégé, notamment pour les couples désireux de concevoir un enfant ou à l’occasion d’un accident de préservatif, en déduire de façon aussi définitive qu’à charge virale indétectable une personne séropositive n’est pas contaminante semble bien plus hasardeux. D’autant que cela risque de donner un faux sentiment de sécurité et du coup de diminuer l’usage systématique du préservatif en dehors du cadre dans lequel a été émis l’avis suisse, à savoir des rapports hétérosexuels vaginaux en l’absence de toute autre IST chez l’un ou l’autre des deux partenaires. Par ailleurs, on peut supposer des instabilités possibles dans l’efficacité des traitements (et donc une charge virale indétectable au moment des analyses médicales mais subissant des fluctuations entre deux bilans) ; plus encore, un indice semblait appuyer la nécessité d’une modélisation : malgré un très fort taux de mise sous traitement, l’incidence au VIH chez les HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) augmente dans un grand nombre de pays, coïncidant avec une baisse notable dans l’usage systématique du préservatif lors de rapports occasionnels et engendrant par là même une augmentation de la transmission d’autres IST.
Méthode
L’équipe australienne dirigée par Wilson a effectué une modélisation à partir des données internationales récoltées au cours de diverses études, notamment celle menée à Rakai en Ouganda. Le travail de Wilson est donc un simple travail de projection à partir de calculs mathématiques ; il ne s’agit pas d’une étude épidémiologique ; l’intérêt d’une telle démarche consiste donc en ceci que les chiffres utilisés font la synthèse de plusieurs enquêtes menées sur les rapports entre charge virale et infectiosité et qu’ils bénéficient d’un consensus international quant à leur fiabilité et leur représentativité.
Ainsi les chiffres retenus sont les suivants :
En l’absence de traitement, les risques de contamination par acte sont d’environ :
- 0,0005 de femme séropositive au VIH à homme séronégatif au VIH dans le cadre d’un rapport vaginal
- de 0,001 d’homme séropositif au VIH à femme séronégative au VIH dans le cadre d’un rapport vaginal
- de 0,01 d’homme séropositif à homme séronégatif en cas de rapport anal, en considérant que les rapports insertifs et réceptifs sont pratiqués à parts égales par les deux partenaires.
En considérant que par palier de 10, chaque baisse de la charge virale diminue par 2,45 le risque de contamination, les risques de contamination pour une charge virale de 10 copies par ml (charge alors considérées comme indétectable) sont les suivants :
Estimation attendue | Estimation basse | Estimation haute | |
---|---|---|---|
Par acte | |||
De femme à homme | 0.000022 | 0.000008 | 0.000058 |
D’homme à femme | 0.000043 | 0.000016 | 0.000116 |
D’homme à homme | 0.00043 | 0.00016 | 0.00116 |
Sur 100 actes | |||
De femme à homme | 0.0022 | 0.0008 | 0.0058 |
D’homme à femme | 0.0043 | 0.00116 | 0.0115 |
D’homme à homme | 0.043 | 0.0159 | 0.197 |
De femme à homme = de femme séropositive au VIH à homme séronégatif au VIH
D’homme à femme = d’homme séropositif au VIH à femme séronégative au VIH
D’homme à homme = d’homme séropositif au VIH à homme séronégatif au VIH
Résultats de la modélisation
Si à l’échelle d’un seul rapport sexuel ou même de 100, le risque est tellement minime qu’il peut apparaître théorique, Wilson propose une projection en termes de risques cumulés sur dix ans qui permet de prendre la véritable mesure des risques de contamination encourus en cas d’abandon du préservatif au sein d’un couple sérodifférent, selon les modalités décrites par l’avis suisse. Ainsi, sur dix ans, en l’absence de toute autre IST, sur une population de 10 0000 couples sérodifférents à raison de 100 rapports sexuels non protégés par an, le partenaire séropositif présentant une charge virale indetectable (5 ou 10 copies par ml) ou faible (50 ou 400 copies par ml), les chiffres obtenus sont les suivants :
Charge virale du partenaire séropositif | Modalité de l’exposition au risque | Nombre de contaminations attendues (sur 10 000) |
Estimation basse | Estimation haute |
---|---|---|---|---|
5 copies par ml | F -> H | 164 | 56 | 471 |
H -> F | 326 | 111 | 920 | |
H -> H | 2823 | 1060 | 6191 | |
10 copies par ml | F -> H | 215 | 80 | 564 |
H -> F | 425 | 159 | 1096 | |
H -> H | 3524 | 1477 | 6871 | |
50 copies par ml | F -> H | 398 | 181 | 854 |
H -> F | 781 | 359 | 1635 | |
H -> H | 5575 | 3059 | 8325 | |
400 copies par ml | F -> H | 872 | 517 | 1441 |
H -> F | 1669 | 1007 | 2674 | |
H -> H | 8391 | 6543 | 9557 |
Ce qui donne en moyenne pour une charge virale indétectable à faible (de 5 à 400 copies, à savoir la fourchette d’oscillation d’un patient séropositif parfaitement réceptif au traitement antirétroviral), en cas d’abandon total du préservatif au sein d’un couple sérodifférent et en l’absence de toute autre IST :
- De femme à homme : 412 contaminations sur 10 000 couples, à savoir 4 %.
- D’homme à femme : 800 contaminations sur 10 000 couples, à savoir 8 %.
- D’homme à homme : 5075 contaminations sur 10 000 couples à savoir 50 %.
Dans une configuration où le préservatif est maintenu pour 80% des rapports et à compter qu’il n’est sur une longue période efficace qu’à 95% [2] , avec une charge virale constante de 10 copies par ml (à savoir une charge virale indétectable particulièrement faible puisque le seuil haut pour qu’une charge virale soit considérée comme indétectable est de 40 copies), les chiffres obtenus sont les suivants :
- De femme à homme : 52 contaminations sur 10 000 couples, à savoir 0.5%.
- D’homme à femme : 104 contaminations sur 10 000 couples, à savoir 1 %.
- D’homme à homme : 990 contaminations sur 10 000 couples, à savoir 10 %. Avec une charge virale faible de 1000 copies par ml (à savoir 15% des HSH australiens réceptifs à leur traitement antirétroviral) le chiffre attendu de contaminations dans une telle configuration (maintien du préservatif pour 80% des rapports) est de 4385 sur 10 000, à savoir près de 44%.
Conclusions posées par l’équipe de recherche
De toute évidence l’infectiosité d’une personne porteuse du VIH diminue en proportion de sa charge virale ; néanmoins, Wilson souligne que :
- Si, par acte, le risque de contamination peut sembler extrêment faible, il peut donc devenir substantiel quand il est répété à de nombreuses reprises ; c’est ce qu’on appelle le risque cumulé.
- Par ailleurs, la charge virale, quoiqu’indétectable, peut être instable et sujette à des variations aussi inattendues que difficiles à mesurer, et ce chez des patients parfaitement réceptifs aux traitements antirétroviraux.
- L’avis Hirschel porte sur un petit nombre de couples exclusivement hétérosexuels et sur une durée courte : un an. Il faudrait donc pour trancher une étude grande ampleur portant sur un nombre important de couples et sur une longue durée.
Hirschel posait dans son avis que l’abandon du préservatif doit rester à la seule discretion du partenaire séronégatif au sein d’un couple sérodifférent.
Concernant sa modélisation, Wilson souligne l’importance de nuancer les chiffres avancés, dans la mesure où les risques de contaminations au sein d’un couple sérodifférent ne dépendent pas que de la charge virale et de l’usage du préservatif mais également des pratiques sexuelles adoptées et de diverses considérations d’ordre biologique :
- Chez les gays, par exemple, les rapports anaux insertifs et réceptifs ne sont pas pratiqués de façon égale suivant les couples et les personnes ; or, il est évident que le rapport insertif est, pour le partenaire séronégatif au VIH, moins dangereux que le rapport réceptif.
- De même la modalisation, par souci de simplicité, suppose pour les couples hétérosuels des rapports exclusivement vaginaux et les chiffres obtenus ne tiennent pas compte de possibles relations anales.
- Des infections au niveau des parties génitales des deux partenaires (infections sans relation avec des IST) peuvent favoriser la transmission du virus.
- Il faut par ailleurs savoir que même si les deux sont fortement liés, l’absence de charge virale au VIH dans le plasma (à savoir ce qu’indique une mesure de charge virale dans le cadre du suivi d’un patient infecté au VIH) ne signifie pas nécessairement et dans tous les cas que la charge virale soit indétectable dans les liquides sexuels (sperme et scrétions vaginales) ainsi que dans les sécrétions annales. Un différentiel est tout à fait possible et il peut être significatif. Autrement dit, un patient peut présenter une charge plasmatique indétectable et présenter une bien plus forte présence du virus dans ses sécrétions sexuelles et / ou anales et donc être beaucoup plus contaminant par voie sexuelle que ce qu’indiquent les résultats des analyses biologiques pratiquées dans le cadre de son suivi médical.
- Il est possible qu’en dessous d’une certaine quantité de virus dans le plasma, la contamination devienne très difficile. Dans ce cas, les estimations pourraient être excessives. Mais rien dans l’état actuel des recherches ne permet de le certifier surtout pour la rapports anaux.
- Dans le cadre de la modélisation, par charge virale indétectable on entend une charge virale extrêmement basse et surtout constante ; on ignore par exemple quelles variations un virus aussi commun et répendu que l’herpès peut produire au niveau de la charge virale.
L’équipe australienne dirigée par Wilson a effectué une modélisation à partir des données internationales récoltées au cours de diverses études, notamment celle menée à Rakai en Ouganda. Le travail de Wilson est donc un simple travail de projection à partir de calculs mathématiques ; il ne s’agit pas d’une étude épidémiologique ; l’intérêt d’une telle démarche consiste donc en ceci que les chiffres utilisés font la synthèse de plusieurs enquêtes menées sur les rapports entre charge virale et infectiosité et qu’ils bénéficient d’un consensus international quant à leur fiabilité et leur représentativité.
Notes de l'article :
[2] Ruptures, glissements et autres incidents qui jalonnent la sexualité, NDLR
Source :
- Cette étude est bien sûr capitale dans la mesure où elle prolonge d’une façon plus qu’utile l’avis suisse dont le titre est d’une grande ambiguïté, d’autant que de nombreux gays semblent avoir oublié qu’il concernait les rapports hétérosexuels vaginaux en l’absence de toute autre IST et donc dans le cadre d’une exclusivité sexuelle totale. Or, on peut noter une recrudéscence notoire des IST chez les gays ces dernières années, notamment de la syphilis, qui se transmet beaucoup plus facilement que le VIH (baiser, fellation, voire simple contact) et dont il a été prouvé qu’elle facilitait considérablement la contamination au VIH. Dans le cadre d’un couple gay non exclusif, la contraction de la syphilis doit donc être envisagée comme un véritable paramètre ; à ce titre, selon les termes de l’avis suisse, il y a là un contre indication absolue à l’abandon du préservatif au sein d’un couple sérodifférent même si le partenaire séropositif présente une charge virale indétectable.
- On peut cependant se questionner sur le fait que l’avis suisse ait eu le retentissement et les conséquences que l’on sait dans la communauté gay, alors que l’étude de Wilson n’a manifestement pas eu le même écho, puisque comme le soulignent certaines études parues depuis, l’incidence au VIH a augmenté chez les gays dans la plupart des pays occidentaux et ce malgré un taux très élevé de mise sous traitement antirétroviral des personnes contaminées au VIH.
- Rappelons par ailleurs que l’avis du Bulletin des médecins suisses n’était qu’un avis, médiatisé par un des ses rédacteur, le Professeur Hirschel, avis qui était avant tout destiné à permettre aux experts devant les tribunaux suisses en cas d’accusation de contamination de démontrer que les personnes suivies médicalement ne sont pas des criminels ; il ne s’agit donc en aucun cas, comme un certain nombre de raccourcis et imprécisions ont fini par le laisser entendre, d’une étude épidémiologique dirigée par le Professeur Hirschel.
- En l’absence de toute information supplémentaire concernant les gays, il convient donc de se fier aux conclusions de Wilson d’autant que soulignons le à nouveau une charge virale est indétectable entre deux examens, et qu’entre temps la moindre infection (pas nécessairement sexuellement transmissible) peut provoquer des variations aussi peu maîtrisables que calculables de la charge virale et donc exposer le partenaire séronégatif à des risques réels et non négligeables.
- Il est donc indispensable de rappeler que si les personnes séropositives sont moins beaucoup moins contaminantese lorsqu’elles bénéficient d’un traitement antirétroviral efficace, elles restent potentiellement contaminantes et que le risque cumulé augmente les risques de transmission de façon considérable.