L’avenir appartient-il à la jeunesse ? C’est la question que l’on pouvait se poser après cette deuxième session plénière de la CROI 2017. Le titre évocateur de la présentation de Shanon L. Hader (CDC, Atlanta GA USA) contient cette question : « (prévenir) l’épidémie à venir de VIH dans la jeunesse ».
Plus précisément, la perspective d’avenir que nous dépeint cette chercheuse est celui de la région du globe la plus touchée par l’épidémie, l’Afrique, et de l’ensemble des évolutions qui peuvent faire craindre une catastrophe. L’évolution démographique de l’Afrique sub-saharienne n’est pas homogène mais elle est dominée par une prépondérance de la jeunesse. Dans cette partie du monde où l’incidence du VIH est la plus forte au monde, le mélange est détonnant. Les tentatives de projection épidémiologiques montrent une nécessité absolue d’agir pour faire évoluer les courbes et éviter une catastrophe. De récents résultats d’études épidémiologiques ou de prévention biomédicale montrent déjà les marqueurs du risque à venir.
Dans l’étude CAPRISA évaluant l’efficacité d’un gel vaginal de ténofovir en prophylaxie pré-exposition mené dans 4 pays du sud de l’Afrique (résultats publiés à la conférence de Vienne en 2010) on voit se dessiner le cycle inexorable décrit ainsi : les jeunes filles sont contaminées par des hommes plus âgés. Des années plus tard elles contamineront leurs partenaires qui ensuite viendront relancer le cycle. Dans une étude épidémiologique au Zimbabwe, où il semble que le dépistage et le lien vers le soin soit plutôt bien assuré en général, on constate dans une analyse par tranche d’âge que les jeunes sont les plus ignorants de leur statut sérologique.
Dans le même temps, les estimations sur la démographie africaine projettent qu’en 2035 la moitié de la population sera urbaine, un facteur de croissance le plus élevé au monde qui n’est pas sans rappeler ce qui a permis l’émergence de l’épidémie il y a un demi-siècle. Ce développement rapide ne va pas sans poser deux questions essentielles, d’une part celle de l’éducation de cette jeunesse et d’autre part celle du développement économique, plus spécialement concernant la jeunesse dont les conditions de vie déjà difficiles, pauvreté, chômage, seront encore plus mises à mal.
La chercheuse pointe aussi à travers différentes statistiques le niveau élevé de violence à l’encontre des jeunes garçons et filles, notamment les violences sexuelles. Face à ces constats, il est légitime de se poser la question de savoir si la jeunesse est un atout ou un risque. Le point de vue de la chercheuse à ce sujet est clair : il est hors de question de rester inactifs et le défi que cela lance est bien celui de tout faire pour faire de la jeunesse un atout pour l’avenir. Cela suppose d’utiliser les bons outils au bon moment. La jeunesse n’est pas une population homogène. Elle est diverse et complexe. Le développement du monde et de la communication rend la jeunesse éprise de liberté de transparence et d’égalité. Même si les solutions sont imparfaites au regard des moyens limités, l’impératif est de réussir. La communication joue un rôle essentiel pour toucher la jeunesse avec les bons messages. Mais il faut aussi développer une offre de services adaptée aux besoins de la jeunesse. Mais faire évoluer les normes sociales, réduire la violence, demande des adaptations à tous les niveaux, une mobilisation des communautés, un renforcement des soins et des aides aux familles, l’empowerment de la jeunesse et l’émergence de leadership. Ce sont les perspectives du programme PEPFAR (le programme de coopération américain pour la lutte contre le sida) pour faire de la jeunesse des pays en développement un atout plutôt qu’un risque.
Travail de l’institut de recherche vaccinale américain de A (AIDS) à Z (Zika)
Le deuxième orateur de la matinée est Barney S. Graham (NIAID, VRC Bethesda MD USA). Il entend nous présenter l’ensemble du travail de l’institut de recherche vaccinale américain de A (AIDS) à Z (Zika). L’émergence de nouvelles maladies virales est à peu près constant au cours du temps. La plupart des nouveaux virus proviennent de pays en développement et sont d’origine animale. L’émergence régulière et la dissémination plus ou moins rapide de certaines maladies virales est un enjeu de santé publique. C’est pour y répondre que le centre de recherche vaccinale du NIAID a été créé en 2000. Il s’agit avant tout d’un centre de recherche fondamentale qui s’attelle à développer des outils modernes d’étude et d’analyse des nouveaux agents pathogènes et travaille en parallèle sur tous ces agents parce qu’il y a un intérêt évident à croiser ces travaux tant la proximité des structures moléculaires de tous les virus est intéressante.
Le chercheur nous offre ensuite un aperçu de certains grands programmes récents du centre comme la recherche sur les vaccins contre la grippe (Influenza virus). Le centre de recherches s’est doté des technologies les plus modernes de recherche de la biologie moléculaire et de la génomique. Grâce à ces outils et ce savoir-faire, le développement de vaccins antiviraux devient un exercice d’ingénierie. Pour illustrer son propos, le chercheur détaille les étapes qui ont conduit au vaccin contre le virus Ebola et cite aussi les travaux réalisés sur le Chicungunia ou le virus Zika. Cependant, quand on mesure les ravages de ces crises sanitaires, on aimerait pouvoir faire plus vite et mieux. Produire les vaccins du 21e siècle requiert les structures de surveillance mondiale permettant la découverte des nouveaux virus, le développement de plateformes technologiques de production de vaccins, la planification de partenariats entre les nations mais aussi public-privé pour la recherche, le développement et la production, l’organisation de la coopération entre financeurs, scientifiques, développeurs, agences de régulation, pouvoirs de santé publique et les communautés concernées pour le déploiement. Le sida est une maladie d’origine animale. La recherche sur le VIH a conduit l’immunologie humaine vers le développement d’outils de synthèse moléculaires pour la conception de vaccins. Tous ces progrès laissent penser que l’avenir de la vaccinologie ressemble plus à un exercice d’ingénierie maîtrisé. Des progrès sont encore nécessaires pour que ces outils servent la santé publique afin de découvrir plus rapidement les nouvelles menaces, de disposer des données les plus récentes sur la physiopathologie de tous les virus connus, d’être capable de produire les prototypes d’antigènes et les données cliniques, et de maîtriser les plateformes technologiques de production de vaccins.
Session de présentations orales consacrée aux recherches sur la PrEP, les IST et les microbiomes
Cette session proposait une série de sujets assez variés qui montrent que depuis l’émergence de résultats encourageants dans le domaine de la prévention biomédicale, il est aussi apparu des pans entiers de recherche à mener pour mieux comprendre ce qui faisait les succès et les échecs des techniques étudiées et utilisées. Et c’est là qu’on enfonce parfois des portes ouvertes ou qu’on découvre des trésors enfouis.
Que serait une CROI sans Gerardo Garcia-Lerma ? Le chercheur du CDC d’Atlanta nous a tellement abreuvé de modèles macaques de la PrEP depuis vingt ans qu’il est devenu incontournable pour étudier les questions insolubles de la recherche en prévention. Il nous propose aujourd’hui une étude pour comprendre le risque de développement de résistance en cas d’utilisation de PrEP à longue durée d’action chez une personne qui deviendrait séropositive. Autrement dit, que se passe-t-il si l’on donne une PrEP à quelqu’un en phase séroconversion tellement précoce que sa sérologie est négative ? C’est ici le cabotégravir qui a été testé puisque ce produit est par ailleurs évalué dans des études cliniques comme candidat à la PrEP en injection tous les deux mois. La recherche menée sur un modèle macaque montre que le cabotégravir n’est pas toujours efficace pour contrôler l’infection et que la réplication résiduelle produit effectivement des virus résistants accumulant parfois les mutations conférant une forte résistance des virus à la classe de médicament employée. La détection de ces virus dans les fluides rectaux ou vaginaux des animaux laisse penser que ces virus pourraient être transmis. Cela confirme les rares résultats de développement de résistances observés chez des personnes sous PrEP alors qu’elles étaient en primo-infection non détectable. Cela renforce aussi l’importance de ne pas initier de PrEP à longue durée d’action avec le cabotégravir chez des personnes en primo-infection non détectée.
Microbiotes du vagin et du pénis
Renée Heffron (Univ of Washington, Seattle WA,USA) nous présente une étude destinée à évaluer l’impact d’un microbiote vaginal anormal sur le risque d’acquisition du VIH chez des femmes sous PrEP. Le problème a été soulevé par les analyses complémentaires de l’essai CAPRISA publié en 2010, essai de gel vaginal de ténofovir proposé à des femmes africaines en prophylaxie pré-exposition. Cet essai avait conclu très faiblement positivement à une efficacité à peine supérieure à 30%. Les études complémentaires avaient montré que le microbiote vaginal perturbé par des bactéries pathogènes était un facteur défavorable à l’efficacité du gel. La stratification des résultats d’efficacité de l’essai révélait ainsi que le gel était efficace à 61% chez les femmes dont le microbiome vaginal était, disons, normal tandis qu’on tombait à 18% avec un microbiome perturbé. Depuis lors, l’une des questions ouvertes pour l’utilisation de la PrEP orale était donc de connaître l’impact du microbiome vaginal dans ce cas et s’il y avait la nécessité de recourir à des tests voire un traitement en cas d’anormalité. Le présent résultat de recherche vient confirmer que l’efficacité de la PrEP orale (Truvada) chez les femmes n’est pas affectée par ce problème dans un essai de PrEP conduit chez des femmes de l’est africain.
Sharon L.Miller (Univ. of Pittsburg, PA, USA) poursuit dans la même voie mais en proposant le résultat d’une étude de film microbicide vaginal à base de ténofovir. Sans rentrer dans les détails d’une méthode complexe, ses résultats viennent confirmer ceux de l’étude complémentaire de CAPRISA citée plus haut en constatant que le niveau de ténofovir présent localement est variable selon la composition bactérienne du microbiome vaginal.
Changeons un peu de sujet mais pas tant en fait avec le présentateur suivant, Lance Price (George Washington univ, Washington DC, USA), puisqu’il s’intéresse, lui, au microbiote du pénis des hommes. En fait, sa recherche s’inspire du fait que les travaux ayant conduit à recommander la circoncision comme méthode protectrice des hommes n’a pas tant cherché à comprendre les mécanismes qui expliquent la différence entre un pénis circoncis ou pas, même si certaines hypothèses supposaient que la perméabilité ou la fragilité du gland recouvert se perdait une fois qu’il était à l’air en permanence. Son étude a donc consisté à analyser à la fois la composition bactérienne du microbiote pénien mais aussi la présence de facteurs inflammatoires sur la muqueuse selon que les hommes sont circoncis ou non. Les conclusions de cette étude sont claires : la composition anormale du microbiote pénien affecte le risque d’acquisition du VIH chez les hommes. Ce mécanisme est similaire à celui du microbiote vaginal chez les femmes. Chez les hommes le problème peut facilement être résolu par la circoncision qui modifie durablement la composition du microbiote pénien. Par ailleurs, cette composition est largement corrélée entre partenaires, suggérant qu’il s’agit d’un facteur sexuellement transmissible.
Jennifer Balkus (Fred Hutchinson cancer research center, Seattle WA, USA) présente le résultat d’une sous-étude du projet d’anneau vaginal dispensateur de dapivirine comme méthode de prophylaxie pré-exposition. Cette sous-étude avait pour objet d’évaluer les interactions médicamenteuses entre la méthode de prophylaxie, le dapivirine, et les contraceptifs féminins. Elle conclue par une absence d’influence de la dapivirine, d’une part parce que les niveaux de produits absorbés à partir de l’application locale par l’anneau sont faibles, d’autre part parce qu’il n’y a pas d’interactions des voies métaboliques connues entre ces produits. Cela étant, l’utilisation de contraceptifs oraux n’a pas empêché de nombreuses grossesses dans l’essai, suggérant une mauvaise observance de cette méthode. Les méthodes contraceptives injectables ou implantables ont donné bien meilleurs résultats.
Prophylaxie post-exposition des IST
Jennifer Balkus (Fred Hutchinson cancer research center, Seattle WA, USA) présente le résultat d’une sous-étude du projet d’anneau vaginal dispensateur de dapivirine comme méthode de prophylaxie pré-exposition. Cette sous-étude avait pour objet d’évaluer les interactions médicamenteuses entre la méthode de prophylaxie, le dapivirine, et les contraceptifs féminins. Elle conclue par une absence d’influence de la dapivirine, d’une part parce que les niveaux de produits absorbés à partir de l’application locale par l’anneau sont faibles, d’autre part parce qu’il n’y a pas d’interactions des voies métaboliques connues entre ces produits. Cela étant, l’utilisation de contraceptifs oraux n’a pas empêché de nombreuses grossesses dans l’essai, suggérant une mauvaise observance de cette méthode. Les méthodes contraceptives injectables ou implantables ont donné bien meilleurs résultats.
Enfin, pour clore cette session, Jean-Michel Molina (Hôpital Saint Louis, Paris, France) présentait les résultats de l’étude de prophylaxie post exposition des IST qui était nichée dans la phase ouverte de l’étude française IPERGAY de PrEP. Selon le chercheur français, les taux d’IST relevés dans les deux études européennes de PrEP, 57% dans PROUD et 41% dans IPERGAY, montrent que la prévalence des IST est un souci majeur chez les hommes ayant des relations sexuelles entre hommes (HSH). Le projet de recherche sur la PrEP était donc une opportunité à saisir pour évaluer une méthode de prophylaxie des infections sexuellement transmissibles bactériennes. En se basant sur d’autres études déjà réalisées, il a donc été proposé aux participants de l’étude IPERGAY volontaires une étude complémentaire pour mesurer l’impact d’une prophylaxie post exposition à base de doxycycline sur l’acquisition des IST bactériennes. Le schéma de l’étude a consisté à proposer aux participants d’IPERGAY d’être répartis aléatoirement en deux groupes, l’un sans intervention, l’autre dit « groupe PEP », disposant d’un maximum de 6 comprimés de doxycycline par semaine (quantité contingentée pour éviter une trop forte exposition à cet antibiotique et pour limiter la pression sélective de résistance) à prendre après un rapport sexuel à risque. Le suivi consistant en une visite initiale puis tous les deux mois, comportant les sérologies VIH et syphilis et la recherche par PCR de chlamydia et de gonocoques dans les sécrétions anales et de gorge et dans les urines. L’objectif principal était la détection positive des IST, les objectifs secondaires, le temps jusqu’au premier épisode d’IST, l’adhésion au traitement, le comportement sexuel, la sécurité et la tolérance du traitement et la mesure d’éventuelles souches bactériennes résistantes.
Finalement 212 participants de l’étude IPERGAY ont été inclus dans cette étude, 106 dans chaque groupe. 73 participants ont été infectés par une première IST, 45 dans le groupe sans traitement, 26 dans le groupe PEP se traduisant par un facteur de risque significatif de 0,53. Pour la gonorrhée, le facteur de risque est de 0,83 (25 cas dans le groupe sans traitement, 22 cas dans le groupe PEP), pour l’infection à chlamydia, le facteur de risque est de 0,30 (21 cas dans le groupe sans traitement, 7 cas dans le groupe PEP), pour la syphilis, le facteur de risque est de 0,27 (10 cas dans le groupe sans traitement, 3 cas dans le groupe PEP). L’observance est estimée à 83,3%. 27 personnes du groupe PEP ont arrêté le traitement, 3 ne l’ont pas commencé. Le nombre moyen de pilules utilisé a été de 6,8 par mois (de 3 à 15). Les effets indésirables ont été fréquents mais modérés, pour beaucoup des problèmes gastro-intestinaux, ce qui a conduit certains participants à l’arrêt du traitement. En conclusion, la prophylaxie post-exposition des IST dans cet essai a permis une réduction de 47% des infections chez les participants HSH sous PrEP en 8,7 mois de suivi. Elle n’a pas eu d’effet sur les gonorrhées mais a montré une forte efficacité sur les infections à chlamydia et les syphilis (70 à 73%). Le bénéfice d’une telle mesure à long terme n’est pas connu. La prophylaxie post exposition des IST n’est donc pas recommandée mais des études complémentaires méritent d’être conduites.
À la suite de cette présentation, nous avons décerné la palme de la question la plus provocante de la semaine à la personne de l’audience qui a demandé le plus sérieusement du monde à Jean-Michel Molina : « dans les fermes d’élevage aux alentours on donne en général des antibiotiques au bétail parce que cela leur fait gagner du poids. Avez-vous remarqué un gain de poids chez les participants de cette étude ? ».
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