Toujours à la CROI 2019, mardi après-midi avait lieu un symposium intitulé « Mettre de l’huile sur le feu : consommation de produits psychoactifs et VIH », bien que ce titre puisse déjà paraître quelque peu dans le jugement, n’envisageant la consommation de produits que comme problématique, des choses intéressantes y ont été dites qui méritent pour certaines qu’on s’y attarde.
Plusieurs interventions se sont déroulées lors de cette session qui ont abordé différentes consommations dans différentes communautés.
Chasser le dragon : opiacés et VIH
En premier lieu un cas très américano-centré qu’est la crise des opiacés sur le territoire étatsunien. Ricky Bluthental, professeur au département de médecine préventive et à l’institut sur la recherche en prévention, nous a succinctement rappelé les enjeux liés à la crise des opiacés dont on entend parler maintenant depuis quelques années. En effet, depuis que la douleur est considéré comme un signe de détresse vitale son traitement est reconnu comme prioritaire, seulement la pharmacopée disponible n’est pas toujours sans risque. Alors que pendant longtemps, les traitements morphiniques et autres dérivés étaient réservés à la cancérologie ou à des douleurs très intense, il est devenu commun de se voir délivrer par son médecin traitant des médicaments comme le Truvada ou l’Oxycontin, seulement les conséquences addictives de ces prescriptions ont des conséquences.
Bien que Bluthental a tenté de minimiser la responsabilité des médecins dans la délivrance et les situations d’addiction induites, ils ont joué un rôle fondamental dans leur banalisation au côté du laboratoire Purdue Pharma qui a, à l’heure où on écrit, plus de 2000 plaintes contre lui et réfléchit à se mettre en faillite pour pouvoir y échapper.
Les conséquences directes de cette consommation sont un recul de l’espérance de vie depuis au moins 2 années consécutives pour la population étatsunienne, et l’émergence de problématiques de santé chez des personnes qui n’étaient à la base pas concernées par celles-ci dont le VIH. Le lien est assez logique quand on suit le parcours de ces néoaddict, les prescriptions durent pendant un certain temps, et lorsqu’elles s’arrêtent, l’accompagnement au sevrage étant souvent inexistant, il y a une forte envie de vouloir chercher à retrouver l’effet donné par ces opiacés souvent sur le marché parallèle, en plus du fait que la qualité du produit est difficilement mesurable, il est aussi moins évident de contrôler son dosage selon les produits utilisés (on entend beaucoup parler ces derniers temps du Fentanyl, opiacés de synthèses extrêmement puissant créant des surdoses létales très rapide), mais surtout il peut être rapide de se mettre à consommer de l’héroïne.
Or l’héroïne peut, certes, se fumer ou se sniffer mais elle est le plus souvent injectée. Or la consommation par voie intraveineuse a toujours été un mode de contamination extrêmement important, et les usagers de drogues ont d’ailleurs payé un lourd tribut à l’épidémie de SIDA jusqu’à ce que des grandes campagnes de sensibilisation et d’échange de seringues aient été mises en place qui ont fait chuter les contaminations.
Le problème est double car, d’une, ces personnes nouvellement addict ne connaissent pas les bonnes pratiques de la réduction des risques pour éviter les contaminations, et de deux, les structures de prise en charge sont proches de l’inexistant sur le territoire étatsunien, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous :
Ces problèmes se nourrissent entre eux, en effet le stigmate pesant sur la personne séropositive s’ajoute au stigmate de la personne injectrice, isolant sur des territoires déjà enclavés du soin, et l’opinion publique et l’électoralisme guident des décisions de santé publique comme on peut le voir avec le refus d’ouvrir des places dans des programmes Méthadone (traitement de substitution aux opiacés), ou dans l’ouverture de sites d’injections supervisées (un premier vient d’ouvrir à Philadelphia sous la pression des personnes concernées dont Act Up-Philadelphia ! ).
Bluthental a terminé son intervention en rappelant que le plus dur pour ces personnes est de dépasser le stigmate qui pèse sur eux et que c’est aussi aux professionnels de santé de faire attention au vocabulaire utilisé et au jugement parfois rendu sur les personnes.
Chemsex : conséquences sur la transmission du VIH
Sujet extrêmement discuté actuellement, une session était dédiée au Chemsex avec une présentation extrêmement complète faites par Mark Rohan Pakianathan. Nous allons revenir ici sur les éléments essentiels, et on fera un retour plus complet car cela mérite d’être développé de manière plus détaillée.
Après avoir rappelé que le phénomène du Chemsex touchait principalement la communauté gay avec des utilisations de produits psychoactifs spécifiques (Méthamphétamine, GHB, Cathinones, etc) dans un cadre sexuel, Mark Rohan a tenté d’identifier les raisons qui créent l’intensification de cette pratique : stigmatisation, homophobie, rejet etc. Ces raisons s’entretiennent et sont les mêmes qui poussent vers des pratiques à risques parfois autodestructrices.
Le lien entre l’usage de substances et les pratiques à risques sont évidentes mais il est rappelé qu’une grande partie des personnes qui pratiquent sont aussi déjà séropositives et il y a donc une nécessité de prêter attention aux interactions possibles mais aussi aux co-infections en particulier l’hépatite C qui connaissent un rebond très important dans la communauté, via des pratiques de fistfucking mal réalisées par exemple, pouvant amener des infections.
Ce phénomène est intéressant sur plusieurs points car il permet de réenvisager la santé des personnes gays par un autre prisme que le VIH, de remettre la santé en perspective dans un ensemble que le professionnel de santé se doit de prendre en compte.
Un commentaire fait par une intervenante après l’intervention de M. Pakianathan rappelle aussi une chose fondamentale, il est important de parler de plaisir que ce soit dans la sexualité mais aussi dans la consommation de produits psychoactifs, il y a des problèmes qui existent, mais fort heureusement il n’y a pas que ça !
Nous ferons l’impasse sur la présentation par Leickness Simbayi sur les problématiques liées à la consommation d’alcool pour une personne séropositive. En effet, la présentation n’a apporté aucun élément d’informations nouveaux se contentant de superposer des cartes sans réel intérêt et terminant par prôner l’abstinence et la prohibition pour lutter contre la consommation d’alcool chez les personnes séropositives. Ce qui est dommage car les chiffres montrent une réelle surconsommation d’alcool chez les personnes séropos par rapport à la population générale entrainant nécessairement des augmentations de risques cardio-vasculaires, des problématiques hépatiques et des probabilités de tumeurs cancéreuses.
Le tabac : le tueur silencieux
Responsable d’un nombre important de mortEs dans le monde, le tabac a une forte incidence sur les personnes vivant avec le VIH. La docteur Lene Ryom nous a présenté quelques chiffres, en premier lieu que les personnes séropositives fument 2 à 3 fois plus que les personnes séronégatives, les raisons à cela sont multiples telles l’anxiété ou un manque d’informations de la part des médecins sur la question.
Le tabagisme est pourtant une habitude particulièrement nocive avec en particulier une augmentation des co-morbidités souvent déjà accentuées par les ARV ou bien par les inflammations. Le plus fréquent étant sur les maladies pulmonaires (type pneumonie ou cancer), et risques cardio-vasculaire.
La problématique étant que la nicotine est un produit extrêmement addictif, et que s’en débarrasser demande à la fois une forte motivation mais aussi un accompagnement spécifique à la fois via un renforcement motivationnel mais aussi un recours à une substitution pharmaceutique. Arrêter de fumer doit aujourd’hui être une priorité pour les personnes séropositives et il est bon de rappeler que bien que des études commencent à voir le jour pour démontrer la moindre nocivité de la e-cigarette, rien ne prouve scientifiquement sur le long terme sa non dangerosité.
Enfin comme le rappelle Lene Ryom, il n’est jamais trop tard pour arrêter.
Cette session a permis de mettre en perspective des habitudes de vie et surtout des problématiques liées au stigmate lui-même d’être séropositif qui peut amener à une plus grande consommation de produits psychoactifs à cause de l’anxiété et de l’image, encore souvent trop négative, que la société renvoit à ces personnes.
Cette session a permis de mettre en perspective des habitudes de vie et surtout des problématiques liées au stigmate lui-même d’être séropositif qui peut amener à une plus grande consommation de produits psychoactifs à cause de l’anxiété et de l’image, encore souvent trop négative, que la société renvoit à ces personnes.
Archives :
Nous vous rendons compte de nos découvertes au fil de la semaine de cette CROI 2019 à Seattle. Mais sachez que de toute manière toutes les sessions de la conférence sont revisitables sur le site internet site de la CROI en intégralité.
C’est juste en anglais et parfois ardu à suivre. Mais nous serons là pour vous proposer les clés de décodage de cette passionnante rencontre scientifique de haut niveau.