La 26e CROI a lieu à Seattle, Etats Unis. Deuxième jour de la conférence ou premier jour de sessions. Au menu des plénières, d’une part les infections sexuellement transmissibles et d’autre part, un thème majeur, l’inflammation
En première plénière de ce mardi matin, les infections sexuellement transmissibles.
Pour une conférence habituellement consacrée au sida, il n’est pas de coutume de démarrer les sessions plénières par un sujet en total décalage. Mais ce sujet l’est-il vraiment ? C’est ce qu’en trente minutes, Jeanne M. Marrazzo de l’Université d’Alabama à Birmingham va tenter d’explorer. Son titre : « déni, perte ou destinée ? la résurgence des IST dans la prévention et le soin du VIH ».
Certains faits montrent rapidement l’intérêt de discuter un tel sujet à la CROI : les infections sexuellement transmissibles bactériennes explosent au niveau mondial. Selon les données de l’OMS, en 2016, il y a eu 375 millions de nouveaux cas dans le monde parmi les personnes de 15 à 49 ans. Aux Etats Unis, en 2017, les infections à chlamydia représentaient 1,59 millions de cas, en augmentation de 4,7% par rapport à 2015, 468 514 cas de gonorrhées, soit 18,5% de plus qu’en 2015 et 27 814 syphilis, soit 17,6% de plus. Cette dernière infection très présente dans les années 70 avait quasiment disparu entre les années 80 et 90 avant de connaître une résurgence à l’aube des années 2000 et rejoindre aujourd’hui le pic qu’elle avait atteint il y a 35 ans sans pour autant qu’on ne puisse prévoir si la pente s’arrêtera là. A noter que, un peu comme en France, 88% des cas sont des hommes et 80% ont lieu parmi les hommes ayant des relations sexuelles entre hommes (HSH), et 46% sont des HSH séropositifs au VIH. Chez les femmes, bien que les nombres soient beaucoup plus faibles les augmentations sont énormes et on note également chez elles une concomitance de l’usage de méthamphétamine ou d’héroïne.
Sans rentrer dans les détails, il en va de même pour les autres IST bactériennes, gonorrhées et infections à chlamydia. Mais pour les infections à N. Gonorrhoeae le problème se complique encore par l’émergence de souches résistantes aux traitements classiques que sont l’azithromycine déjà ancien mais aussi au traitement de référence, le Ceftriaxone. C’est pour cela que plusieurs nouveaux antibiotiques sont à l’étude. Mais tous ces produits ne donneront pas de futurs médicaments homologués. Et puis récemment, en Nouvelle Zélande, une recherche vaccinale contre le méningocoque a montré un intérêt contre le gonocoque. On sait de diverses études que ces agents pathogènes sont proches et qu’ils partagent même certains mécanismes. La démonstration d’une efficacité à 33% du vaccin “NZ MenB OMV” contre le méningocoque a lancé la piste de la recherche vaccinale et d’autres résultats sont à venir mettant en œuvre un nouveau vaccin contre le méningocoque B, “4CMenB” (Bexero-GSK) dont les différentes composantes immunogènes partagent des similitudes avec le gonocoque.
Mais en attendant qu’un vaccin émerge, que peut-on faire ? C’est notamment à cette question qu’une sous-étude de l’essai IPERGAY avait tenté de répondre en proposant aux participants de l’essai de PrEP de tester une prophylaxie post-exposition (PEP) à base de Doxycycline. Les résultats montraient une certaine réduction de l’acquisition de gonorrhées. Le sujet fait pour autant toujours discussion. Les arguments en faveur d’une utilisation de la doxycycline en prophylaxie du gonocoque sont : une efficacité dans la vie réelle qui a été montrée, une sécurité et une facilité d’emploi (traitement oral facile à prendre), l’absence de solutions alternatives de prévention et la grande acceptabilité du procédé chez les HSH. Les arguments défavorables sont : la durée limitée des études, le coût, les effets indésirables de la doxycycline, la possibilité d’un comportement de compensation de la réduction du risque, le risque de développement de résistance et les effets sur le microbiome (les micro-organismes internes des muqueuses). Un certain nombre d’études argumentent ces différents aspects et alimentent la controverse.
Mais finalement, parler des infections sexuellement transmissibles à la CROI est-il un simple effet de provocation ? Autrement dit, l’objectif qui consiste à mettre fin à l’épidémie de sida est-il lié à la question du traitement des IST au même titre que d’autres facteurs déterminants de l’épidémie comme les inégalités économiques et de genre et d’autres aspects des droits humains ? C’est ainsi que la question était posée il y a peu dans le journal JIAS. Ceux qui répondent par la négative argumentent notamment sur les démonstrations d’espaces qui visent le zéro nouvelle contamination par l’accès favorisé à la PrEP et le concept de TasP ou « indétectable = intransmissible » dont les résultats sont obtenus sans incidence des IST sur ces techniques. Mais à l’inverse, approuver cette affirmation se défend par le poids que représente les IST dans la santé publique. Et par ailleurs, les IST accroissent le risque d’acquisition du VIH en l’absence de PrEP. Et pour les femmes, les IST sont plus qu’un inconvénient. Les recherches d’implémentation de PrEP en Afrique subsaharienne ont montré chez les jeunes filles les limites de l’exercice avec des taux d’infections bactériennes qui flambent et qui exposent ces femmes à des séquelles incontrôlées. Par ailleurs bon nombre d’études sur les IST ont montré leur responsabilité dans l’acquisition du VIH dans des contextes hors PrEP. Le développement du concept de santé sexuelle tel qu’on le conçoit aujourd’hui implique une proposition de dépistages du VIH, des hépatites et des IST quelle que soit la démarche initiale, comme une amélioration évidente de la santé des personnes.
L’inflammation dans le VIH : comment maîtriser les flammes
Irini Sereti, médecin à l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses, le NIAID, nous a proposé une présentation de synthèse sur un sujet majeur, l’inflammation. Dans son introduction, la scientifique résume en premier lieu ce que l’on sait de l’inflammation. C’est une question essentielle dans l’appréhension que l’on a des maladies non transmissibles chez les personnes vivant avec le VIH. C’est un domaine complexe et les approches thérapeutiques sont autant de défis dans la mesure où il s’agit de mécanismes très interdépendants. Les réponses aux problèmes sont donc surtout individuelles.
L’inflammation est connue de la médecine depuis l’antiquité et ses symptômes sont connus de tous : rougeur, température, gonflement, douleur. Les connaissances s’affinant au fil du temps on a lié l’inflammation aux mécanismes de perte de fonctionnement, de coagulation, de modifications de la circulation (débit, pression) et, plus récemment, à des mécanismes cellulaires comme la phagocytose et des transmetteurs comme les interférons notamment. Les voies de l’inflammation vont de la source, blessure, destruction cellulaire, infection, aux capteurs, cellules dendritiques, macrophages, monocytes, lymphocytes, puis par la voie de transmetteurs, TNF, interleukines, interférons et autres immunomodulateurs, ces signaux amènent les organes cibles à réagir selon différentes modalités, vasodilatation, pression artérielle, migration de cellules de l’immunité, sensibilisation de cellules, propagation d’alerte de danger au système nerveux. On distingue différents types d’inflammation, les aigues et les chroniques, dont celle liée à l’infection à VIH, on différencie celles liées à des atteintes des tissus, blessures et accidents, de celles dues à des agents pathogènes, il existe aussi le concept de para-inflammation résultant du stress des tissus lorsqu’un inflammation se prolonge et n’est pas résolue. L’inflammation peut être un phénomène bénéfique, amplifiant les conditions de réparation, mais peut aussi parfois être délétère lorsque la réponse inflammatoire est excessive et mal contrôlée. Elle peut aussi résulter d’un manque d’adaptation ou de l’altération de l’âge.
L’inflammation liée à l’infection à VIH a été très tôt reconnue dans l’histoire de l’épidémie comme une phénomène causé par une forte activité des lymphocytes T CD8 et de marqueurs d’inflammation qui leur sont liés, mis en évidence même avant l’apparition des antirétroviraux. Son activité était alors un signe de risque mortel. Depuis, elle permet d’identifier la progression de la maladie et s’accompagne souvent de la perte de lymphocytes T CD4. On a aussi montré que l’inflammation comme les facteurs de coagulation signalaient le risque de mortalité ou la progression de pathologies non transmissibles chez les PVVIH. De nombreuses études ont identifié les marqueurs de ces états et de leur progression. De même on a identifié l’inflammation et ses différents marqueurs comme liée aux principales affection non transmissibles comme les cancers, les maladies cardiovasculaires, les atteintes osseuses, rénales, pulmonaires, les diabètes, les atteintes neurocognitives et la fragilité. Ces affections sont aussi celles qui apparaissent avec l’âge, ce qui est notable face à une population de personnes séropositives vieillissantes grâce à la survie que permet l’action des antirétroviraux. La progression de ces affections est à prendre en compte notamment dans les pays à faibles revenus où les structures sanitaires vont avoir à faire face à un nombre croissant de pathologies de ce type. Il est aussi intéressant de noter que certaines différences liées au genre peuvent exister si tant est que les activités hormonales ne sont pas les mêmes, et que différents facteurs agissent de manière différenciée chez les hommes et les femmes. Et avec l’âge et les comorbidités, les co-médications sont de plus en plus fréquentes.
Finalement, les personnes vivant avec le VIH sont concernées par de nombreux inducteurs d’inflammation que sont les différents pathogènes rencontrés en plus du VIH, la mortalité cellulaire et les fibroses tissulaires, mais il faut compter aussi sur les différentes comorbidités, cholestérol, hypertension, tabac, obésité ainsi que sur certains facteurs spécifiques comme l’action des lymphocytes Treg et les macrophages résidents tissulaires, à quoi il est utile de rajouter la génétique de l’hôte, l’âge, le genre, le sous-type viral, les co-infections spécifiques y compris les IST, le microbiome, le régime alimentaire et le style de vie…
Mais revenons aux inducteurs spécifiques de l’infection à VIH. Il est maintenant largement admis que le degré d’inflammation atteint avant la mise sous traitement conditionne largement ce qu’il sera durant la prise de traitement antirétroviral. Tout est donc dépendant de la déplétion et du niveau de lymphocytes T CD4 atteint. Même avec une inflammation forte, la mise sous traitement à un niveau de lymphocytes T CD4 élevé permettra un meilleur contrôle. L’initiation précoce du traitement semble donc une solution majeure au contrôle inflammatoire. C’est une des principales conclusions de l’essai START qui comparait l’initiation d’un traitement immédiat au diagnostic à la prise de traitement différé. On a vu clairement dans cet essai et d’autres qu’il était possible de récupérer des valeurs normales de certains biomarqueurs d’inflammation (IL6, D-dimer, sICAM, sVCAM) après environ 2 ans de traitement bien que ce ne soit pas le cas de tous ces marqueurs et que, malgré une intensification des traitements, la normalisation des marqueurs restait limitée. Bien que la majorité des virus produits, on le sait maintenant, sont défectifs, ils sont tout de même susceptibles d’induire une inflammation. Pour autant il n’est pas clair pour les expérimentateurs de la stratégie de contrôle viral qui consiste à essayer de réduire l’ADN intégré au silence, de savoir si, malgré tout, les virus silencieux sont inducteurs d’inflammation ou pas. D’autres co-facteurs sont connus, comme le cytomégalovirus (CMV) qui agit en synergie avec le VIH sur l’inflammation. Il a d’ailleurs été montré que le valgancyclovir (anti-CMV) réduisait l’activité CD8 et donc l’inflammation médiée par ces virus, et ce, malgré les effets indésirables massifs de ce médicament. Fort heureusement, un nouvel antiviral beaucoup moins toxique est à l’étude, le letermovir.
Parmi les sources d’inflammation à problème, le tissu lymphoïde et la muqueuse intestinale, très fortement ciblé et endommagé par le VIH. On n’a jusque là pas trouvé de solution thérapeutique susceptible de reconstituer les dégâts causés par le virus dont les ravages affectent aussi le microbiome intestinal. Le VIH est aussi la cause de fibrose de nombreux tissus parmi lesquels on cite surtout l’intestin et les ganglions lymphatiques mais aussi le cœur ou le foie. Quelques études ont montré que ces processus étaient réversibles avec certains traitements (TNF alpha, pirfenidone).
Du côté des détecteurs, les cellules myéloïdes de l’immunité contribuent largement à travers l’immunité adaptative, à l’entretien de l’inflammation. En particulier, les monocytes agissent sur les mécanismes de contrôle de la coagulation qui, en retour induisent des facteurs d’inflamamtion qui entretiennent la réaction à la manière d’un cercle vicieux. Bien que parfois nécessaires, les anticoagulants ne sont d’aucun effet sur les médiateurs de l’inflammation.
Sur le plan des organes cibles, le système vasculaire est particulièrement mis à mal. Il a été maintes fois démontré que les personnes séropositives ont des risques de complications cardiovasculaires sérieusement augmentés. Fort heureusement, les cardiologues ont un arsenal thérapeutique éprouvé et varié pour attaquer ces comorbidités. D’autres essais de solutions anti-inflammatoires sont à l’étude. Mais certaines solutions classiques comme l’aspirine ou les statines sont d’un recours intéressant chez les séropositifs. Une fois de plus dans cette conférence, de nombreux résultats d’études thérapeutiques sur le contrôle inflammatoire viennent alimenter l’arsenal déjà disponible pour s’adapter à chaque ces de figure.
Les mécanismes de l’inflammation sont très complexes et il n’existe aucune solution unverselle si ce n’est de revenir à la cible principale, le VIH. Le message le plus important en la matière est de dépister pour traiter le plus tôt possible. Au-delà, le traitement des comorbidités doit s’adapter à chacun. Cependant il reste encore bien du travail de recherche pour mieux comprendre certains mécanismes et apporter des solutions thérapeutiques appropriées à cette question complexe qu’est l’inflammation chronique de l’infection à VIH.
Archives :
Nous vous rendons compte de nos découvertes au fil de la semaine de cette CROI 2019 à Seattle. Mais sachez que de toute manière toutes les sessions de la conférence sont revisitables sur le site internet site de la CROI en intégralité.
C’est juste en anglais et parfois ardu à suivre. Mais nous serons là pour vous proposer les clés de décodage de cette passionnante rencontre scientifique de haut niveau.