Pas banal la CROI 2020 : quand un virus perturbe la conférence sur les rétrovirus. La 27e CROI s’est ouverte de manière virtuelle. Le coronavirus a eu raison du rassemblement de chercheurs annuels qui devait se tenir à Boston à partir de ce dimanche 8 mars. Mais redoublant d’efforts et de technologie, c’est à la maison que nous assisterons aux sessions. Une conception nouvelle des conférences qui mérite le détour.
C’est en arrivant à Boston vendredi que nous avons appris la décision prise alors que nous survolions l’Atlantique : La CROI 2020 ne se tiendrait pas au Hynes Convetion Center de Boston mais sur les ondes, si l’on peut dire, c’est-à-dire de manière virtuelle. L’annonce est claire. En raison de l’extension du coronavirus covid-19 dans le monde et compte tenu à la fois des contraintes de déplacement prises dans certains pays mais aussi de la nécessité de nombreux médecins d’être présents sur leur terrain pour prendre soin des personnes atteintes par ce virus, la CROI 2020 n’est pas annulée mais se tiendra virtuellement.
Conférence virtuelle, qu’est-ce que c’est ?
Tout se passe en direct sur le net. Les sessions se tiendront à l’heure prévue et seront diffusés par différents canaux accessibles à toutes les personnes inscrites à la conférence. Une petite équipe du comité scientifique assure la présentation des sessions (et les applaudissements !) tandis que tous les présentateurs ont été invités à envoyer leur présentation enregistrée afin qu’elle puisse être diffusée come prévu. Il reste que l’interactivité avec l’auditoire sera limitée puisqu’il n’y a comme seule possibilité de questionnement que l’envoi de messages aux auteurs. Pas de discussion en live.
Et c’est ainsi que, de retour à Paris, nous allons vous proposer nos comptes-rendus de cette extraordinaire conférence qu’est la Conference on Retrovirus and Opportunistic Infections, la CROI, dans sa version 2020.
CROI 2020 : le programme
Le programme de cette édition reflète bien l’esprit du temps puisqu’il fait la part belle aux recherches sur HIV CURE ainsi que sur les nouvelles approches de la prévention et de la prise en charge de l’infection à VIH. Mais au milieu de tout cela, mardi midi, aura lieu ne session spéciale coronavirus avec, nous a-t-on dit, des chercheurs en duplex de Chine, le point de départ de cette épidémie et, encore à l’heure actuelle, le pays de loin le plus touché par cette épidémie.
La suite de cet article est consacré à la plénière de lundi…
Lundi à la CROI 2020
Cette première journée de travaux s’est ouverte ce matin par une session plénière quelque peu rétrospective.
Sharon R. Lewin (université de Melbourne, Austalie) a eu l’honneur d’ouvrir cette journée par un rappel sur la thématique pour laquelle elle a pris un leadership au sein de l’IAS (International Aids Society) la perspective de guérison du VIH. Sa présentation « HIV Cure, du labo au chevet » tente de résumer où nous en sommes aujourd’hui. HIV cure, c’est l’étape d’après celle de la prise en charge avec les traitements antirétroviraux telle qu’on la connait aujourd’hui. L’histoire a commencé de la recherche sur « cure » a commencé en 1997 avec l’identification de la latence du virus, le mécanisme qui fait qu’une cellule peut être infectée par le VIH sans exprimer pour autant le virus. Et puis en 2009 est intervenu la fabuleuse aventure du « patient de Berlin », Timothy Braun, la première personne guérie de l’infection à VIH à cause d’un traitement qu’il a subi en raison d’une autre maladie dont il était atteint, une leucémie, traité par une greffe de moelle osseuse qui l’a rendu insensible au VIH. Puis, en 2010, on découvre grâce à l’étude française VISCONTI les personnes « post-traitement contrôleurs » qui sont capables de contrôler le virus après avoir été mises sous traitement antirétroviral très rapidement après leur infection. Ils ont interrompu ce traitement et contrôlent l’infection avec leur seule immunité. Et d’autres cas sont intervenus dans les années récentes, l’affaire du bébé du Mississipi, les patients de Boston, de San Francisco, de Londres, qui sont tous des cas où une intervention spécifique a conduit à une rémission temporaire ou totale de leur infection. A l’heure qu’il est, guérir de l’infection à VIH reste un défi difficile à atteindre. Les études portent sur la compréhension des mécanismes de latence, la localisation des réservoirs viraux dans le corps, de la prolifération des cellules infectées. Les recherches visant à trouver des solutions thérapeutiques portent sur la réversion du mécanisme de la latence, la modification génétique, l’utilisation d’anticorps spécifiques, l’immunomodulation. Il apparaît d’ailleurs à travers ces recherches que la solution pourrait ne pas être celle d’une méthode unique mas de la combinaison de différentes techniques selon les cas. Il semble aussi de plus en plus clair que l’aboutissement de ces solutions au niveau des communautés demandera un engagement des personnes, des agences et des financeurs. En plus clair, ces solutions pourraient être très coûteuses. Mais selon Sharon R. Lewin, à force de recherche et de nouvelles solutions, on pourrait bien arriver un jour à un traitement curatif de l’infection à VIH en une prise. Reste à savoir quand…
La deuxième présentation de la plénière de ce lundi a été l’occasion pour Kevin M. De Cock de rappeler la longue évolution vers le dépistage et le traitement universel. Dans sa présentation intitulée « Universal Test and Treat : les leçons du passé pour le futur », a rappelé que finalement tout a commencé dans les années 90 lorsqu’on a eu accès à la mesure de charge virale. Les recommandations de traitement dès lors ont été basées sur l’objectif virologique d’obtenir l’indétectabilité de la mesure de charge virale, ce qui nous a fait basculer dans l’ère actuelle de la prise en charge du VIH. C’est aussi ce qui a permis de découvrir que la transmissibilité du virus était lié à la charge virale de la personne malade. L’idée d’une prévention pour les PVVIH basée sur le contrôle de la charge virale a ainsi émergé ce qui nous a conduit tout naturellement vers le concept de indétectable = intransmissible, en anglais U=U. Et en même temps il est apparu évident que l’objectif à poursuivre était la mise sous traitement antirétroviral la plus rapide après le diagnostic, c’est-à-dire le résultat positif à un dépistage. Ce qui a placé progressivement le dépistage au centre des préoccupations de prévention. Dès lors, on s’est mis un peu à rêver de la fin de l’épidémie. Et c’est ainsi qu’ont été introduits par l’ONUSIDA les fameux objectifs de 90-90-90 en 2020 et de 95-95-95 en 2030 avec pour finalité d’arriver à zero nouvelle contamination. Pour autant, la question qui s’est posé avec le développement de l’accès aux traitements était de comprendre pourquoi cela n’avait pas plus d’impact sur l’incidence de l’épidémie. C’est ainsi qu’on en est arrivé à construire des modèles mathématiques pour évaluer virtuellement l’impact de différentes stratégies sur l’épidémie. Puis on a tenté par diverses recherches de vérifier ces hypothèses. C’est ce qui a donné les essais comme TasP (ANRS), PopART, SEARCH et BCPP visant à étudier l’impact populationnel du « test and treat » dont la synthèse conduit tout de même à dire que malgré l’obtention d’un objectif type 90-90-90, l’incidence demeure élevée et que cet objectif ne suffit pas à éliminer le VIH. Autrement dit, le dépistage et traitement universel seul ne suffit pas à contrôler l’épidémie.
Il faut être plus inventif et plus efficace. D’où le nouveau concept préconisé par l’ONUSIDA, celui de populations clés. Il s’agit d’adapter les mesures et de cibler les efforts en analysant le terrain que l’on vise. Il s’agit aussi de ne pas confondre fin du sida et contrôle de l’épidémie. Ce que l’on vise c’est avant tout la réduction de l’incidence, pas la disparition des malades. L’heure est donc à la combinaison des interventions et à la mesure de leur impact pour les adapter au mieux.
D’autres sessions d’intérêts se sont tenues ce lundi mais les moyes de la conférence virtuelle ne permettent pas d’avoir la réactivité et la souplesse habituelle pour en rendre compte aussi rapidement. C’est pourquoi d’autres comptes-rendus suivront.
Ainsi le symposium de ce lundi « qu’est ce qui fait reculer l’épidémie » qui a retenu tout notre intérêt, vous sera rapporté ultérieurement avec toute la précision qu’il mérite.
Selon les annonces qui ont été faites, les sessions de la CROI seront disponibles pour tout le monde sur le net en webcast dans la semaine qui suit la conférence, ce qui est un peu plus lent que d’habitude mais s’explique par la complexité technique de la conférence virtuelle.