L’enquête Prévagay constitue une grande première en France : il s’agit d’une étude transversale (sorte de photographie d’une population à un instant t) sur les comportements sexuels des gays usagers de lieux communautaires (bars, boites, backrooms, saunas).
Il s’agissait de pouvoir fournir des chiffres fiables concernant la prévalence et l’incidence au VIH dans la population gay parisienne et faire un état des lieux sanitaire et comportemental.
Menée en 2009, l’étude consistait en une enquête de terrain anonyme au cours de laquelle les participants étaient invités à produire un prélèvement sanguin et à répondre à un questionnaire auto-administré.
Cet article retraduit la publication scientifique qui correspond à l’étude Prévagay. Cette étude transversale cherchait notamment à évaluer l’incidence et la prévalence du VIH chez les HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) fréquentant les lieux de convivialité gays à Paris. En effet, dans un contexte global de baisse des contaminations, les HSH constituent la seule population où le nombre de contaminations se maintient, qui plus est à un taux particulièrement élevé. Par ailleurs, une augmentation des comportements à risque a pu être observée chez les HSH, entrainant une augmentation des cas d’IST, notamment de la syphilis. Il s’agissait par une enquête de terrain de faire un état des lieux précis de la situation.
Afin de sensibiliser les HSH à cette situation, l’étude Prévagay fut accompagnée d’un certain nombre de publications (site web, posters, interviews), qui proposaient davantage de résultats ; le compte rendu que nous vous présentons ici vise donc à faire la synthèse de toutes les données qui furent proposées par cette étude. On désigne par prévalence le taux d’une population donnée touchée par une maladie ; on désigne par incidence le nombre de nouveaux cas par an dans cette population. L’enquête Prévagay a permis de dégager une prévalence au VIH de 17,5% et une incidence de 2,8%. Autrement dit, la situation reste alarmante.
Contexte
Instiguée par l’InVS (Institut de Veille Sanitaire), avec le soutien scientifique et financier de l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), en partenariat avec le Syndicat National des Entreprises gaies (Sneg) et le centre national de référence du VIH de Tours, l’enquête s’est déroulée à Paris du 28 avril au 6 juin 2009 dans des établissements communautaires : quatorze établissements ont accepté de participer à l’étude, 9 lieux de consommation sexuelle (backrooms ou saunas) et 5 bars.
Cette étude répond à un constat : en France, comme dans l’ensemble des pays occidentaux, l’incidence au VIH a, durant la décennie 2000, baissé dans tous les groupes de population, tandis qu’elle se maintient à un niveau (très) élevé chez les HSH. Ainsi, à l’échelle du pays, une contamination au VIH sur deux concerne un HSH et ce malgré une forte utilisation des traitements antirétroviraux, qui, cela a été prouvé par de précédentes études, permettent de diminuer considérablement le caractère contaminant d’un individu porteur du VIH.
Méthode
Mise en place de la campagne d’étude
L’enquête Prévagay a été effectuée en 2009, du 28 avril au 5 juin, dans un échantillon de 14 lieux communautaires parisiens selon les modalités suivantes :
- 54 interventions en tout, d’une durée de 4 heures chacune, effectuées sur une tranche horaire allant de 14h00 à 22h00.
- 14 intervenants de terrain, recrutés pour leur connaissance des établissements et du milieu gays ; un certain nombre de ces intervenants était issu de l’équipe des délégués prévention du Sneg. Les intervenants ont suivi une formation de deux jours afin de maîtriser les étapes et les modalités de l’enquête.
- Quinze jours avant le lancement de l’enquête, une campagne d’affichage et d’information a été mise en place dans tous les établissements commerciaux de convivialité gay parisiens, par voie de presse (sous forme d’articles dans la presse communautaire) et par la création d’un site internet : www.prevagay.fr. Le site est par ailleurs toujours actif et disponible sur la toile.
- 1500 hommes ont été abordés ; 917 ont accepté de participer.
Le questionnaire et le relevé des données
– L’étude était anonyme ; les participants ne pouvaient donc pas avoir accès à des résultats personnels. – Pour être sélectionnés, les hommes abordés devaient avoir au moins 18 ans et avoir eu des rapports sexuels avec un autre homme dans les douze derniers mois. – Après lecture d’une lettre d’information présentant l’étude et ses objectifs, les participants étaient invités à remplir un « consentement de participation ». – Dans un espace confidentiel de l’établissement, les participants étaient ensuite invités à déposer six goutes de sang sur un buvard et à remplir un auto-questionnaire (c’est-à-dire sans présence des intervenants enquéteurs afin de ne pas influencer les réponses par le jeu social ou la crainte d’un jugement). – Le questionnaire récoltait des informations concernant les champs suivants : données démographiques et comportementales (âge, niveau d’étude, lieu de résidence, habitudes et pratiques sexuelles etc), statut sérologique au VIH, historique personnel en matière de tests VIH (fréquence des tests, date du dernier test), historique personnel concernant les autres IST éventuellement contractées et la surveillance adoptée (fréquence des tests). – Aux hommes abordés refusant de participer à l’étude, les enquêteurs proposaient un autre questionnaire sur les motifs de leur refus. Sur 661 hommes ayant refusé, 344 ont rempli ce questionnaire. Sans être exhaustives les données collectées sont donc très représenatatives et significatives.
Difficultés méthodologiques
Le calcul de l’incidence au VIH (c’est à dire le nombre de nouvelles contaminations par an au sein de la population des HSH) posait des problèmes méthodologiques évidents dus à :
- la difficulté d’estimer le temps écoulé depuis l’infection pour les infections récentes ;
- la présence de patients asymptomatiques long terme qui présentent un profil sanguin comparable à celui de personnes récemment infectées ;
- le brouillage créé par des stades avancés de sida déclaré et la prise de traitement antirétroviraux.
Méthodes utilisées pour les analyse biologiques
Les tests ont été effectués par le Laboratoire National de Référence du VIH de Tours à partir des goutes de sang récoltées sur les buvards : un immunodosage a été effectué permettant de déceler à la fois l’antigène p24 ainsi que les anticorps au VIH. Les echantillons testés positifs au VIH ont été confirmés par un test de type Western blot et afin de détecter les infections récentes ; ils ont ensuite été soumis au texte EIA-RI qui permet de dater l’infection.
Toutes les précautions scientifiques ont été prises et les résultats obtenus sont donc très fiables.
Résultats
Données globales concerntant les participants
– Sur 1578 hommes abordés et invités à participer, 917 ont accepté, à savoir 58%. – Les hommes abordés ayant refusé de participer à l’enquête ont invoqué les raisons suivantes : le manque d’hygiène des lieux où avait lieu l’enquête ; la non-adaptation des lieux pour ce type d’enquête ; la peur du sang ; le manque d’intérêt pour le sujet ; la méfiance. L’équipe de recherche souligne que, significativement, peu nombreux furent ceux qui invoquèrent le fait de ne pas obtenir le résulats du prélèvement.
Données socio-démographiques
– L’âge moyen des hommes interrogés est de 39 ans. – Dans l’ensemble les hommes intérrogés présentent un niveau d’études et d’instruction élevé (48% sont titulaires d’un diplôme universitaire) – Ils sont majoritairement nés en France et vivent en région parisienne ; la moitié d’entre eux vivent seuls. – La plupart des hommes intérrogés s’identifient comme homosexuels.
Données concernant les pratiques sexuelles
– Dans l’ensemble, les hommes interrogés ont déclaré un nombre important de partenaires sexuels occasionnels : 26% ont déclaré avoir eu plus de 50 partenaires différents au cours des douze derniers mois. – Parmi les séronégatifs au VIH, 28% ont eu plus de 20 partenaires ; ce chiffre est de 56% pour les séropositifs au VIH. – Parmi les hommes interrogés : 10% fréquentent régulièrement les lieux de drague extérieurs ; 18% les backrooms, sexclubs et vidéoclubs ; 31% les saunas ; 36% les sites de rencontre internet et 48% les bars et clubs sans backroom.
Données concernant l’usage et la consommation de psychotropes
– 40% des hommes interrogés ont déclaré avoir consommé au moins cinq verres d’alcool au cours de la même occasion (ce qui correspond à un état d’ébriété certain) et ce au moins une fois par semaine au cours des douze derniers mois. – 50% ont consommé au moins une fois lors des douze derniers mois un des produits suivants : cannabis, poppers, cocaïne, GHB, GBL.
Rapports annaux non protégés
– 35% des hommes intérrogés déclaré avoir eu au moins un rapport anal non protégé avec un partenaire occasionel au cours des 12 derniers mois. – Chez les hommes interrogés séropositifs au VIH connaissant leur statut, 59% ont eu au moins un rapport annal protégé dans les douze derniers mois. – Chez les séropositifs au VIH ignorants de leur statut, le chiffre est de 50%. – Chez les hommes séronégatifs au VIH il est de 30%.
Notons que : – 12% des interrogés n’utilisent que peu voire jamais le préservatif lors d’une pénétration anale avec un partenaire occasionnel. – Ce chiffre est de 27% pour les séropositifs au VIH connaissant leur statut aussi bien que les séropositifs au VIH ignorants de leur statut. Chez les candidats séronégatifs au VIH, le chiffre est de 9%.
Dépistages et surveillance des IST
Concernant le VIH – 63% des participants ont déclaré avoir effectué au moins un test de dépistage du VIH (ou une sérologie pour les personnes séropositives au VIH au courant de leur statut) dans les 12 dreniers mois. – Parmi les hommes interrogés, 6,5% n’avaient jamais effectué de test ; pour 20% des hommes interrogés, le dernier test remontait à plus d’un an. – 3,5% des hommes interrogés étaient ignorants de leur séropositivité au VIH ; parmi eux 22% n’avaient jamais fait de test, et pour 16% ce test remontait à plus d’un an. – 35% des séropositifs au VIH au courant de leur statut ont déclaré avoir contracté au moins une IST dans les douze derniers mois ; le chiffre est de 32% pour les séropositifs au VIH ignorants de leur statut et de 15% pour les séronégatifs au VIH.
Concernant les autres IST 35% des séropositifs au VIH au courant de leur statut ont effectué au moins un test de dépistage pour les MST autres que le VIH et les IST dans les douze derniers mois ; 32% des séropositifs ignorants de leur statut et 15% des séronégatifs.
Incidence et prévalence au VIH
– Sur 917 prélèvements, 157 ont été diagnostiqués positifs au VIH, soit un taux de prévalence de 17,7%. Pour les moins de 30 ans, la prévalence est de 15% tandis qu’elle est de 21 % pour les plus de 45 ans. – Le taux d’incidence obtenu est de 3,8% par an ; attention un premier chiffre éronné de 7,5% avait été annoncé par l’équipe à l’occasion d’un communiqué de presse préliminaire (daté du 11 février 2010 et encore disponible sur internet). Ce chiffre a ensuite été révisé et corrigé. – Parmi les personnes porteuses du VIH mais ignorant leur statut, 48% sont titulaires d’un diplôme universitaire ; ce chiffre est de 58% pour les personnes séropotisives au VIH et connaissant leur statut. Il est de 67% chez les hommes testés séronégatifs au VIH.
Données concernant le VHC
– 1% des hommes interrogés étaient séropositifs au Virus de l’Hépatite C. – 2% des séropositifs au VIH ont été diagnostiqués positifs au VHC.
Commentaires de l’équipe de recherches
L’équipe de recherche souligne :
– L’importance de disposer de données communautaires de ce type afin de produire de nouvelles stratégies de prévention adaptées aux différents types de populations sexuelles, en l’occurrence ici les gays, puisque l’étude révélait que la plupart des participants se percevaient comme homosexuels. – Le rôle fondamental joué par les associations de lutte contre le SIDA et le SNEG dans l’élaboration et la mise en place de l’étude et donc l’importance de la collaboration entre scientifiques et milieu associatif. – L’incidence et la prévalence chez les HSH de la région parisienne sont comparables à celles observées à Barcelonne, mais significativement plus élevées qu’à Londres ou dans les autres villes anglaises. – La prévention chez les HSH reste une nécessité toujours actuelle.
Sources :
Le site : prevagay.fr (plus en ligne)
L’article de PloS One en accès libre
En pointant le nombre important de rapports sexuels avec des partenaires occasionnels, cette étude montre que si le VIH trouve là un formidable outil d’expansion, cette quantité d’échanges et de contacts pourrait aussi être utilisée comme moteur de transmission d’informations de prévention. A ce titre, il aurait été intéressant de disposer d’informations permettant de savoir à quelle fréquence les hommes interrogés évoquent la question de la prévention et des IST avec leurs différents partenaires. Et, le cas échéant, pourquoi ils n’utilisent pas de préservatif.
Par ailleurs, l’étude semble indiquer que, pour les HSH, il serait souhaitable d’accompagner systématiquement tout dépistage du VIH par le dépistage d’un certain nombre d’autres IST (syphilis, hépatites). D’autant que l’on sait désormais de façon certaine que la présence d’autres IST favorise la contamination au VIH.