ARTICLES / ÉPIDÉMIOLOGIE

38000 hommes ayant des rapports homosexuels suivis pendant 3 ans : une vision complète et solide de l’épidémie en Angleterre.

par | 21.05.2013

[MWB_PDF_GEN]
Attention ! Ce contenu a 12 ans. Merci de lire cette page en gardant son âge en tête.

On en rêvait, les autorités de santé britanniques l’ont fait : suivre pendant trois années une cohorte de 38 000 hommes séronégatifs ayant des rapports homosexuels, afin de mesurer l’incidence des contaminations au VIH, aux IST et les facteurs de risque de ces contaminations. Et ce afin d’obtenir, enfin, une vision globale de l’épidémie chez des homosexuels européens. Une recherche utile à la compréhension de l’inquiétante dynamique de l’épidémie chez les gays.

Si de grandes cohortes de séropositifs ont été mises en place ces dernières années, apportant des résultats complétant les données épidémiologiques existantes, on attendait depuis longtemps une cohorte d’hommes séronégatifs. Trop souvent, les autorités sanitaires considèrent cela comme superflu, et analyser les données de personnes non-malades paraît être aux yeux de certains médecins une tâche ingrate et peu valorisante. De fait, l’intérêt d’une telle cohorte est de mesurer des comportements à risques, des facteurs de vulnérabilité par rapport à l’épidémie, et les problématiques semblent avoir un air de « déjà-vu ». Mais ce déjà-vu, en réalité, ne fait jamais l’objet d’enquêtes à l’échelle d’une population consistante. Dans cette étude, ce n’est pas moins de 38 000 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) qui ont été inclus dans la cohorte, ayant tous en commun d’avoir fréquenté des cliniques communautaires (centres sexuels, bien développés en Angleterre). On attend depuis longtemps que la France fasse de même dans ses centres de dépistage
Les données qui suivent sont issues d’un poster présenté à la CROI (conférence américaine sur les rétrovirus et infections opportunistes) en mars dernier à Atlanta.

L’objectif premier et en soi déjà bien suffisant de cette cohorte était de mesurer l’incidence des contaminations au VIH parmi des gays séronégatifs. Les hommes inclus dans cette cohorte devaient présenter un premier test négatif, et étaient ensuite testés à nouveau dans l’année qui suivait. Pour ceux d’entre-eux qui devinrent séropositifs au cours de l’étude, une régression était établie afin d’estimer la date de leur contamination et d’établir un profil de risque.

Les principaux résultats

Entre 2008 et 2011, on a pu observer 702 séroconversions parmi les 38 000 hommes suivis, ce qui aboutit à une incidence de 2 % par an (intervalle de confiance de 95 %, 1,9%-2,2%), avec peu de différences en fonction des années. Parmi les 25-49 ans, considérés comme plus actifs sexuellement, on observe une incidence plus élevée, à 2,3 % par an. D’autres facteurs prédisent par ailleurs, dans des sous-groupes constitués par les chercheur-e-s, une incidence plus forte que dans l’ensemble de la cohorte : ainsi, le fait d’être noir, de résider à Londres ou d’être né hors d’Angleterre semble déterminer une plus forte incidence dans le groupe. Parmi ceux qui s’étaient vus diagnostiquer une chlamydia ou une gonorrhée précédemment, l’incidence s’élève respectivement à 3,9 et 4,5 % par an, et ce résultat est confirmé par toutes les analyses effectuées (univariées et multivariées).

Les conclusions

Les chercheur-e-s concluent à une dynamique de l’épidémie qui ne semble pas décliner chez les gays, et qui demeure à un niveau très élevé dans les dernières années. Ces résultats sont d’ailleurs confirmés par les autres données d’incidence connues chez les gays britanniques. Parmi les résultats importants, le fait d’être touché par certaines IST paraît déterminant dans l’évaluation des profils à risque : chlamydia et gonnhorrée sont très sensiblement liées à une forte incidence.

Ces données, cependant, ne rendent pas compte des prédicteurs de l’infection à VIH en termes de comportements sexuels. Des données telles que le nombre de rapports non-protégés ou le nombre de partenaires n’ont pas été recueillies, alors que l’on sait que certaines pratiques, répétées, entraînent une plus forte incidence dans les groupes concernés.
Enfin, les chercheur-e-s relativisent la représentativité de leur étude en indiquant que le quart des gays inclus dans la cohorte se faisaient auparavant dépister très régulièrement, ce qui n’est pas forcément un comportement courant chez les gays, et qui pourrait induire un léger biais de recrutement dans la cohorte.

Cette cohorte confirme les craintes souvent exprimées quant à la dynamique de l’épidémie chez les gays. Les résultats présentés ici confirment les données épidémiologiques connues concernant les gays en Europe, et montrent qu’au-delà des frontières et éventuellement des différentes politiques de prévention mises en œuvre, l’épidémie demeure forte et ne semble pas décliner au sein des populations présentant le plus grand risque d’acquisition du VIH.

Source :
Desaï, S. et al., 2013, « HIV incidence in the open cohort of 38,000 MSM attendees of Sexually Transmitted Infection clinics across England : 2008-2011 », CROI 2013, Atlanta, poster.