De nombreuses sessions et communications de cette CROI 2023 ont été consacrées à la PrEP mais surtout pour parler de la nouvelle vague, celle des produits à longue durée d’action. D’autres sessions et communications ont été consacrées à la prévention des IST, tout particulièrement à l’usage de la doxycycline en usage préventif. En particulier, nous avons eu droit à présentation des résultats de l’essai ANRS 174 Doxyvac, C’est ce que nous vous relatons ici.
Assurer le succès de la PrEP injectable
Lors d’un symposium consacré à la PrEP par traitement à longue durée d’action, il n’a pas tant été question d’efficacité de cette technique, elle est déjà établie, mais plutôt de la question de l’implémentation de la PrEP en général et des produits à longue durée d’action. En effet, ce symposium « Assurer le succès de la PrEP injectable », la question posée est de savoir ce que le fait de disposer d’un traitement prophylactique à injecter à intervalle long, deux mois pour le cabotegravir, peut changer dans l’approche de prévention et ce qu’il convient de faire pour utiliser au mieux cette technique.
Nyaradzo M. Mgodi, University of Zimbabwe a présenté les conditions nécessaires à un succès de l’implémentation de la PrEP injectable en Afrique. Il a été suivi par une autre présentation, celle de LaRon Nelson, Yale University, qui a lui aussi insisté sur la nécessité d’aller au-devant des populations clés pour leur proposer la PrEP, à travers un angle de vision particulier, la disparité d’usage de la technique dans différents groupes de populations aux Etats-Unis. Il a développé, chiffres à l’appui, la différence d’accès à la PrEP entre populations blanches et noires mais aussi entre riches et pauvres. Or la PrEP injectable se présente comme une opportunité pour des personnes sur lesquelles on applique trop souvent un préjugé social ou structurel alors que ce sont justement ces personnes-là qui en seraient les meilleurs bénéficiaires. Il propose donc, en même temps que la dispensation d’une innovation scientifique, de mettre en place une innovation sociale en agissant sur les déterminants des inégalités structurelles et sociales. Il s’agit de mettre en place des processus de réduction de ces inégalités, qu’elles soient d’ordre économique ou qu’elles se constituent en barrières qui se dressent dès lors qu’il s’agit d’identités de genre, de race, d’orientation sexuelle, de santé ou de religion.
Il s’agit, avec le projet HPTN 096, de proposer une synergie entre interventions structurelles et socio comportementales, entre interventions d’influenceurs sur les réseaux sociaux et les médias et soutien de pair-éducateurs et intervention d’ordre économique et de réduction de la stigmatisation intersectionnelle, afin d’améliorer l’équité d’accès aux innovations en santé, ici en particulier, la PrEP injectable.
Long acting PrEP, ce que nous savons et ce qui reste à comprendre
Présenté par Sunil S. Solomon, The Johns Hopkins University School of Medicine, Baltimore, cet exposé présente ce que le cabotegravir long-acting apporte de nouveau à la prévention contre l’infection à VIH mais aussi ce qu’il change et ce qu’il faut comprendre pour que le bénéfice soit maximal.
Ce que l’on sait aujourd’hui de l’efficacité du cabotegravir long acting, c’est qu’il est capable de réduire l’incidence du VIH chez les femmes cis, les HSH et femmes trans exposées à un risque de transmission sexuelle du VIH. Cependant, dans les deux essais qui l’ont démontré, les usagers de drogues injectables ont été exclus. Ils sont pourtant au même titre une population exposée à un risque de transmission du VIH et à une incidence élevée, particulièrement aux USA avec la crise des opioïdes. Mais on dispose d’études qui ont montré l’efficacité protective de ce produit chez les macaques (Andrew et al. AIDS 2017). Il est donc nécessaire de procéder à une expérimentation clinique pragmatique chez ces potentiels bénéficiaires comme dans d’autres groupes clés chez qui cette protection pourrait apporter un bienfait, les personnes incarcérées et les sans-abris.
On sait des essais cliniques que l’acceptabilité de la PrEP injectable est forte. On sait moins ce qu’il en est des populations les plus vulnérables auxquelles cela pourrait bénéficier. Un certain nombre de craintes sur le risque de transmission en cas d’arrêt des injections, d’exposition à des virus résistants, existe mais elle demeure peu élevée et peu documentée.
La surveillance des personnes sous PrEP est essentielle. Si elle est plus aisément réalisée par le recours à des charges virales dans les pays riches, cela reste difficilement faisable dans les pays pauvres. La PrEP doit rester en dispositif coût/efficace pour être utilisée. La question du prix du cabotegravir long acting comparé à celui de la PrEP orale qui existe en générique et la question critique de son accessibilité. Les recherches dont nous avons besoin sont celles qui expérimentent des stratégies de prévention complètes adaptées à l’hétérogénéité des populations
Prévention des IST, nouveaux outils, nouvelles approches
De cette série de présentations orales nous avons retenu plusieurs d’entre elles parce qu’elles permettent d’avancer sur un sujet d’importance, celui de la doxycycline en usage préventif contre les IST bactériennes. Par la même occasion, la présentation très attendue par Jean-Michel Molina, Hôpital St Louis, Paris, des résultats de l’étude Doxyvac ouvre aussi la perspective de la vaccination contre le gonocoque.
Pour mémoire, nous avons relaté jusque là un certain nombre d’études et publié des documents permettant de mieux comprendre ces questions. Ainsi vous pouvez trouver dans reactup :
- Sous-étude de prophylaxie post exposition des IST nichée dans la phase ouverte de l’étude française IPERGAY de PrEP présenté à la CROI 2017
- L’article du Dr Taha sur la prévention vaccinale commune contre le gonocoque et le méningocoque
- La présentation de l’étude ANRS 174 Doxyvac
- Les résultats de l’étude Doxypep présentés à la conférence AIDS 2022
Pharmacologie mucosale de la doxycycline pour la prévention des IST bactériennes chez l’homme et la femme
Dans sa présentation, Richard Haaland nous présente les résultats d’une étude de pharmacologie explorant la présence dans les muqueuses de la doxycycline utilisée à des fins prophylactiques contre les IST bactériennes. En effet, l’orateur souligne que les essais cliniques récents ont montré que l’utilisation en traitement post-exposition de la doxycycline 200mg a montré une efficacité protective contre la syphilis, et dans une moindre mesure le gonocoque ou les chlamydias chez les HSH. L’objectif de cette étude est de connaitre l’imprégnation de la doxycycline dans les muqueuses potentiellement exposées à une contamination sexuelle par ces bactéries afin de mieux définir le dosage du médicament dans cet usage
L’étude a été menée chez 20 volontaires, hommes et femmes, ayant reçu une dose unique de 200mg de doxycycline. Les participants à l’étude ont également bénéficié d’un traitement post-exposition contre le VIH à base de Bictarvy. Des prélèvements sanguins, rectaux, vaginaux et urétraux ont été collectés pour analyser l’évolution des concentrations de médicament et les comparer à celles connues susceptibles d’inhiber les chlamydia trachomatis (CT), le tréponème palladium (agent de la syphilis, TP) et le Nesseria gonorrheae (NG) ou gonocoque.
Ce qui résulte de cette étude est que la doxycycline est efficacement diffusée dans les tissus muqueux potentiellement exposés à des contaminations par les agents des IST bactériennes et cela de manière persistante et avec des concentrations dépassant les niveaux nécessaires pour inhiber les agents pathogènes considérés (MIC en anglais). Cela permet donc de mieux comprendre l’efficacité observée de cette prophylaxie chez les HSH et permet de mieux envisager la même utilisation pour une protection vaginale chez les femmes. Ces concentrations sont en effet largement au-delà des seuils nécessaires dans tous les sites étudiés pour inhiber les chlamidia et les tréponèmes et dans une moindre mesure, les gonocoques, comme représenté dans le tableau récapitulatif de l’étude.
ANRS 174 DOXYVAC : une étude randomisée ouverte pour prévenir les IST chez des HSH sous PrEP
ANRS 174 Doxyvac est une étude multicentrique randomisée ayant pour objectif de mesurer par comparaison l’efficacité de deux interventions de prévention des IST bactériennes, d’une part la doxycycline proposée en traitement post-exposition, d’autre part la vaccination par 4CMenB dans le but de protéger contre le risque d’infections à gonocoques. Les 546 participants ont été recrutés dans l’étude Prévenir, une cohorte de PrEPeurs. Ils ont donc été répartis aléatoirement en quatre groupes, ceux à qui on offrait un TPE Doxycycline, ceux qui n’en avaient pas, ceux qu’on a vacciné avec 4CMenB et les non vaccinés. L’étude devait durer 96 semaines et a été arrêtée prématurément.
Les résultats présentés par Jean-Michel Molina pour le groupe de chercheurs ayant mené ce projet étaient attendus depuis l’arrêt de l’étude décidé en septembre 2022. En effet, à la suite de la présentation des résultats de l’étude Doxypep en août 2022, le comité indépendant de l’étude Doxyvac a demandé une analyse de résultats. Ceux-ci ont montré l’évidence d’une efficacité significative des deux interventions proposées, et donc le comité a demandé que les inclusions soient arrêtées et que les participants puissent tous bénéficier des traitements proposés dans l’étude.
Les résultats de la doxycycline montrent d’une part que l’incidence de la syphilis et des infections à chlamydia baissent significativement dans le groupe qui a reçu l’intervention, un peu moins pour ce qui est des infections à gonocoque, comparé au groupe témoin. Le taux de protection est de 80%. Quant au vaccin 4CMenB, il a permis une réduction d’incidence de 50% des infections à gonocoque dans le groupe qui a reçu cette intervention, comparé aux non vaccinés. L’essai s’est déroulé de manière satisfaisante, sans effets indésirables notoires, sans modification significative de comportements sur la durée de l’étude et avec un bon suivi des interventions proposées.
En conclusion, pour ce qui est de la doxycycline en traitement post-exposition, 3 études ont maintenant montré une réduction significative des IST grâce à son emploi par des HSH. L’évaluation de l’impact de ce traitement sur la résistance aux antibiotiques tant sur la sélection des agents infectieux qu’au niveau du microbiome, est en cours. Pour ce qui est de la vaccination par 4CMenB, il a été montré une réduction claire de l’incidence des infections à gonocoque.
L’association des deux interventions, Doxycycline-PEP et vaccination 4CMenB, est une approche intéressante pour réduire les infctions sexuellement transmissibles dans une population fortement exposée telle que les Prepeurs.
Doxycycline en prophylaxie post-exposition pour la prévention des IST chez des femmes cisgenres
Jenell Stewart a présenté les résultats de cette étude pour le groupe de recherche dPEP Kenya. Elle vient combler un vide qui existant jusque-là, celui de l’absence d’études de cette prophylaxie chez les femmes.
L’étude randomisée ouverte consistant à comparer l’incidence des IST entre un groupe à qui était proposé une prophylaxie à base de doxycycline dans les 72 heures suivant une relation sexuelle et un groupe qui bénéficiait des soins standards, dépistage d’IST et le cas échéant traitement. La population de l’étude était composée de femmes cisgenres de 18 à 30 ans utilisant la PrEP contre le VIH à Kisumu au Kenya.
Le suivi a été assuré régulièrement tout au long de cette étude menée sans contrainte contraceptive chez les participantes. De fait, le nombre de grossesses a été élevé, 80 au total, ce qui amenait les participantes concernées à interrompre la stratégie proposée.
Au final cette étude n’observe pas de réduction de l’incidence des IST qui sont comparables dans les deux groupes. En spéculant sur ces résultats, les auteurs considèrent que le fort niveau de résistance des gonocoques peut être une explication bien qu’il n’y ait pas eu d’analyse à ce sujet dans l’étude. Pour ce qui est de la syphilis, elle a finalement été très rare dans l’étude comme d’ailleurs en général au Kenya. L’explication proposée de moindre diffusion de la doxycycline dans les tissus vaginaux est peu convaincante après la présentation qui a été faite dans cette session. Il reste la question de l’observance. Elle est difficilement mise en cause dans cette étude étant donné les recueils qui ont été faits auprès des participantes qui ont été suivies notamment avec un envoi de SMS de rappels. Il reste donc à explorer plus avant la question de la prévention des IST chez les femmes.
Tous les comptes rendus de la CROI 2023 :
- CROI 2023, la trentième !
- La 30e CROI : ouverture et rétrospectives
- La 30e CROI : La recherche progresse, voici les dernières avancées scientifiques
- La 30e CROI : PrEP et prévention des IST
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