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Les centres de santé sexuelle d’approche communautaire bientôt dans le droit commun : leur financement actuellement incertain doit être pérenne

par | 10.02.2025

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Il y a des avancées qui ne doivent pas passer à la trappe quand elles sont durement acquises. Les centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC) s’apprêtent à franchir une nouvelle étape décisive : après une phase d’expérimentation lancée en 2018, ils devraient être prochainement inscrits dans le droit commun. La pérennisation du dispositif, dans le prolongement de l’arrêté du 29 septembre 2023 et suite à un amendement porté par Stéphanie Rist dans le cadre du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, marquerait un tournant dans l’accès aux soins pour les populations les plus exposées au VIH et aux autres IST. Une période transitoire jusqu’en mars 2025 a été mise en place pour assurer leur intégration définitive et stabiliser leur modèle économique.

Une expérimentation efficace : avancées et défis

Les CSSAC ont démontré leur efficacité en matière d’accessibilité et de prise en charge des publics clés, notamment les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et les personnes trans, pour répondre à des besoins spécifiques. Ils combinent plusieurs services essentiels :

  • Un accueil par des médiateurs en santé, véritables pivots du dispositif, offrant un accompagnement adapté, avec ou sans rendez-vous.
  • Une offre de “Test and Treat”, permettant un dépistage rapide du VIH et des IST, avec remise des résultats en délais courts grâce à la biologie délocalisée, et mise sous traitement immédiat si nécessaire.
  • Un parcours pour la PrEP, incluant initiation et suivi de la prophylaxie pré-exposition.
  • Des consultations spécialisées (addictologie, psychiatrie, proctologie, sexologie, gynécologie, etc.), intégrées directement au sein du centre.

Avec près de 30 000 passages enregistrés depuis leur lancement, dont 15 000 pour un dépistage complet des IST et 5 000 pour un traitement, ils offrent un modèle innovant et adapté aux besoins.

Malgré une montée en charge inégale et des contraintes réglementaires et financières, le modèle hybride des CSSAC montre un potentiel de reproductibilité, notamment en milieu urbain. La valorisation des médiateurs communautaires, la simplification des protocoles et l’amélioration des systèmes d’information sont essentielles pour pérenniser ce dispositif. Sur la base de ces résultats positifs, les CSSAC vont être pérennisés sous la dénomination de Centres de Santé et de Médiation en Santé Sexuelle (CSMSS). Ils seront des centres de santé spécialisés en santé sexuelle, encadrés par un cahier des charges strict et implantés dans les grandes aires urbaines à forte prévalence du VIH et des IST. Leur ouverture nécessitera une validation du directeur général de l’ARS, et leur modèle économique, revu après l’expérimentation, reposera sur un financement mixte associant forfaits d’activité et dotations spécifiques. Pour garantir un accès sans barrière aux soins, le dispositif prévoit la suppression du ticket modérateur pour les patients pris en charge, à l’image du modèle testé durant l’expérimentation.

L’évaluation des CSSAC a mis en évidence un levier clé dans la lutte contre le VIH et les IST : une approche bienveillante et non jugeante, favorisant l’adhésion des publics éloignés du soin. En structurant une offre complète de santé sexuelle au sein des CSMSS, cette initiative ambitionne de combler un manque criant dans le paysage sanitaire français, tout en renforçant les stratégies de prévention et de dépistage.

Un modèle de santé inclusif face à des arbitrages budgétaires cruciaux

Ces centres, conçus pour répondre aux besoins des publics les plus éloignés du système de santé classique (personnes LGBTQIA+, travailleur·euse·s du sexe, migrant·e·s, personnes en situation de précarité), proposent des services de prévention, de dépistage et d’accompagnement en matière de santé sexuelle. Leur intégration dans le droit commun vise un double objectif : garantir un accès pérenne et non discriminant aux soins, tout en renforçant la lutte contre la transmission du VIH et des autres IST.

Pourtant, les défis restent majeurs. L’incidence des IST bactériennes ne cesse d’augmenter et la découverte tardive du VIH reste préoccupante : près de 43 % des infections au VIH sont diagnostiquées tardivement (28 % au stade avancé), compliquant la prise en charge et augmentant le risque de transmission. Dans ce contexte, l’amélioration du dépistage et de l’accompagnement des publics les plus exposés apparaît plus que jamais comme une priorité.

Si cette reconnaissance institutionnelle est une avancée importante, elle intervient dans un contexte politique tendu. En ce début d’année 2025, les débats autour du budget de l’État et du PLFSS 2025 suscitent de vives inquiétudes. Dans le cadre d’un déficit de la Sécurité sociale estimé à près de 23 milliards d’euros, les incertitudes sur le financement de certaines structures de santé sont réelles.

Dans ce contexte, le financement des CSSAC pourrait être mis en péril si des arbitrages budgétaires venaient à réduire leur enveloppe. Rappelons que l’expérimentation a été lancée dans le cadre de la stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS) 2017-2030 et de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. Trois associations – AIDES, Virages Santé et le Groupe SOS – ont été sélectionnées pour déployer quatre centres à Paris, Lyon, Marseille et Montpellier, des zones particulièrement touchées par l’épidémie de VIH.

Une avancée fragile qui nécessite une mobilisation accrue

L’arrêté du 11 avril 2023 avait déjà apporté des ajustements au modèle économique de ces centres, mais leur pérennité dépendra de la mobilisation des acteurs de terrain, dont les ARS, les futurs CoReSS et des collectivités locales. Sans engagement financier stable, ces structures risquent de se retrouver en difficulté, à l’image du centre 190 à Paris, qui peine à atteindre l’équilibre malgré son rôle essentiel dans la prévention et la santé sexuelle.

L’intégration dans le droit commun est une avancée importante, mais elle doit s’accompagner d’un engagement concret pour garantir leur accessibilité et leur viabilité à long terme. Il est essentiel de rester vigilant face aux décisions politiques et budgétaires qui seront prises dans les mois à venir.

Avec cette évolution, la France pose les bases d’une politique de santé sexuelle plus inclusive et adaptée aux réalités des communautés les plus exposées aux inégalités de soins. Pour que cette avancée se traduise par un véritable changement, il faudra aller au-delà de l’annonce et assurer un suivi rigoureux de la mise en œuvre de ces dispositifs.