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Un point sur la sécurité négociée

par | 20.05.2010

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La « sécurité » négociée décrit une stratégie qui consiste à se passer de préservatifs, sous certaines conditions, lors de relations sexuelles entre partenaires séronégatifs réguliers. Cette pratique suscite beaucoup de débats, certains chercheurs faisant valoir que l’abandon du préservatif au sein d’une relation ne doit pas être confondue avec un relâchement de la prévention, tandis que d’autres parlent d’un « danger négocié ». Quelle est l’efficacité réelle d’une telle stratégie ?

Nous vous présentons ici une étude qui examine une stratégie de prévention du VIH appelée « sécurité négociée », pour évoquer la situation où des partenaires tous deux séronégatifs engagés dans une relation régulière, conviennent de se passer de préservatifs entre eux, tout en négociant un accord sur la protection de leurs pratiques sexuelles en dehors de leur relation.

Cette étude utilise les données d’une cohorte recrutée parmi des hommes homosexuels actifs de Sydney, en Australie (n = 1037). Ces hommes ont été interrogés à l’aide d’un questionnaire et les résultats ont indiqué qu’un nombre important d’entre eux utilisaient la sécurité négociée comme une stratégie de prévention du VIH.

Au cours des 6 mois précédant l’entretien, sur les 181 hommes en couple concordant séronégatif régulier, 62% (112 hommes) avaient eu des pénétrations anales non protégées (PANP) au sein de leur relation et 91% (165 hommes) n’avaient pas eu de PANP en dehors de leur relation. Parmi ces 165 hommes, 82% avaient négocié des accords sur leur pratique sexuelle avec des partenaires occasionnels. Cette sécurité négociée était également liée à la nature de l’accord conclu dans le couple et à l’acceptabilité du préservatif. Des accords entre des partenaires réguliers concordants séronégatifs interdisant d’avoir des relations anales ou toutes formes de relations sexuelles avec des partenaires occasionnels étaient généralement respectés, et les hommes qui avaient négocié de tels accords ont été associés à un faible risque d’infection à VIH.

Il semble ainsi que, dans certaines conditions, l’adoption de cette stratégie de sécurité négociée entre des partenaires réguliers puisse aider ces hommes à maintenir la sécurité de leurs pratiques sexuelles.

Cette étude s’intéresse à la sécurité ou au risque de certaines pratiques sexuelles chez des hommes homosexuels actifs engagés dans des relations régulières. La notion de négociation dans le contexte d’évitement du risque à VIH, a été rapportée en 1992 par Davies et le terme de « sécurité négociée » a été définit en 1993 par Kippax. L’argument étant que s’affranchir du préservatif n’est sûr que si les partenaires sexuels :

  • sont engagés dans une relation régulière ;
  • sont séronégatifs et conscients de la séronégativité de l’autre ;
  • et sont parvenus à un accord clair et sans ambiguïté sur la nature de leur pratique sexuelle au sein et en dehors de leur relation, de telle sorte que toute pratique sexuelle en dehors de leur relation soit sûre, ce qui exclut la possibilité de transmission du VIH.

Questionnement scientifique et hypothèses avancées

Cette étude revisite la sécurité négociée en utilisant les données d’une cohorte recrutée parmi des hommes homosexuels actifs de Sydney, en Australie (n = 1037).

L’incidence de la séroconversion chez les hommes qui sont en relation régulière où les accords négociés en matière de sécurité sont en place fournit le test empirique le plus puissant de la sécurité négociée. Mais comme la cohorte n’a pas existé assez longtemps pour appliquer ce test, l’étude s’est concentrée sur les hommes engagés dans des relations régulières et examine les contextes dans lesquels ces hommes engagés ont eu des pénétrations anales non protégées (PANP), en sécurité ou non.

Un autre test empirique, bien que moins puissant, est la fréquence des PANP en dehors des relations régulières entre séronégatifs, dans lesquelles des relations sexuelles anales non protégées peuvent être pratiquées. Les relations sexuelles anales non protégées en dehors des rapports réguliers et les facteurs associés aux rapports sexuels non protégés sont l’objet de cette étude.

Méthodologie

Les données présentées ici proviennent des deux premières vagues d’hommes recrutés dans une étude de cohorte (the Sydney Men and Sexual Health study) qui se concentre sur les pratiques sexuelles des hommes homosexuels actifs. Le recrutement a eu lieu entre Novembre 1992 et Février 1995. Des hommes qui avaient eu des contacts sexuels avec un autre homme au cours des 5 années précédant leur recrutement et qui vivaient soit à une heure de train ou de voiture de Sydney, ou soit qui participaient régulièrement à la vie communautaire gay de Sydney, ont été éligibles pour entrer dans cette étude.

Les hommes ont été interrogés en face-à-face, à un moment et dans un lieu de leur choix. Le questionnaire était très long et prenait environ 90 minutes à remplir. Les principaux thèmes abordés dans le questionnaire concernaient les pratiques sexuelles, les contextes de la pratique sexuelle (y compris la nature de la relation sexuelle), l’importance de relations sexuelles anales, les accords entre les hommes en matière de pratiques sexuelles sûres, l’identification avec la communauté gay, l’attitude envers les préservatifs, le statut sérologique, et le contact avec l’épidémie.

Résultats

La première condition de la sécurité négociée est que les hommes soient en couple concordant séronégatif. Sur la cohorte, 354 hommes étaient engagés dans des relations régulières et 181 ont déclaré être en couple concordant séronégatif. Ces hommes ne présentaient pas de différence d’âge, d’éducation, de lieu de résidence, ou de durée de relation par rapport aux autres. Ces 181 hommes en relation concordante séronégative répondaient au premier critère d’une stratégie de négociation de sécurité.

Avec leur partenaire régulier, 62% de ces 181 hommes avaient eu des PANP au moins une fois. Par rapport aux hommes engagés dans des relations non concordantes (discordantes ou inconnues), la proportion d’hommes ayant des PNAP au sein de leur relation était plus grande à la fois pour les relations concordantes séropositives et négatives.

Beaucoup de ces hommes engagés dans des relations régulières avaient également eu des rapports sexuels avec des partenaires occasionnels. Un petit nombre d’hommes (40 sur 354) engagés dans une relation régulière, y compris en relation concordante séronégative, ont eu des PANP avec leurs partenaires occasionnels. Les autres hommes avaient seulement eu des relations anales protégées (106 sur 354), ou pas eu de relations sexuelles anales (75 sur 354), ou encore pas eu de partenaires occasionnels (133 sur 354).

Parmi les hommes en relation concordante séronégative, seulement 8,8% avaient eu des rapports sexuels non protégés avec un partenaire occasionnel (16 sur 354). Ce résultat est inférieur, mais non statistiquement significativement plus faible que la proportion d’hommes engagés dans une relation concordante séropositive ou sérodiscordante ayant eu des PANP avec des partenaires occasionnels. Le reste des hommes en relation concordante séronégative n’avaient pas eu de relations sexuelles en dehors de leur relation (71 sur 181) au moins au cours des 6 mois précédant l’inclusion dans la cohorte, ou leur comportement sexuel en dehors de leur relation régulière s’était fait en sécurité, c’est à dire qu’ils n’avaient pas eu de rapports anaux (45 sur 181) ou qu’ils avaient uniquement eu des relations sexuelles anales protégées (49 sur 181).

Cette stratégie de se passer de préservatifs au sein d’une relation sexuelle régulière, surtout si elle est séroconcordante, était donc ordinaire dans cette cohorte de Sydney. Les questions de savoir si c’était une stratégie sûre, et quels facteurs, le cas échéant, réduisaient le risque de transmission du VIH ont été abordées pour les 181 hommes qui étaient en relation concordante séronégative depuis au moins 6 mois.

Afin de déterminer quels hommes avaient réussi à éviter le risque de transmission du VIH depuis l’extérieur de leur relation en ne se livrant pas à des PANP avec un partenaire occasionnel, un certain nombre de facteurs ont été examinés. Ces facteurs ont été les suivants : l’existence d’un accord entre les partenaires, en particulier sur les rapports sexuels occasionnels en dehors de la relation, la nature de l’accord, la nature des pratiques sexuelles au sein la relation régulière, la durée de la relation régulière, l’importance de relations sexuelles anales, et l’acceptabilité du préservatif. Un certain nombre de variables démographiques avait également été examiné.

 

Les conclusions de cette étude concordent avec les conclusions des études précédentes, à savoir que beaucoup d’hommes s’engagent dans des rapports anaux non protégés lors de leurs relations régulières. Cette étude montre que cela est particulièrement vrai pour les hommes engagés dans les relations séroconcordantes positives ou négatives.
Les conclusions de cette étude indiquent également que cette stratégie de prévention peut ne pas être risquée pour les hommes en relation régulière concordante séronégative quand un certain nombre de conditions mutuellement convenues sont remplies – à savoir tout ce qui constitue un accord approprié sur la nature des relations sexuelles en dehors de la relation régulière, qui est conclut par les partenaires engagés dans cette relation.

L’évitement des rapports sexuels anaux non protégés avec des partenaires occasionnels était significativement lié et dépendant de la présence d’un accord de sécurité. Les hommes engagés dans des relations régulières où des accords tels que « pas de relations anales avec des partenaires occasionnels » étaient en place s’exposaient à un faible risque d’infection à VIH. Les attitudes envers l’utilisation du préservatif étaient également importantes pour la sécurité de la stratégie négociée, l’inacceptabilité des préservatifs étant d’ailleurs susceptible d’aller à l’encontre d’un succès de l’accord négocié.

L’évitement des rapports sexuels anaux non protégés avec des partenaires occasionnels a été, toutefois, indépendant des variables démographiques majeures, dont l’âge et le niveau de scolarité. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les hommes gays qui vivaient dans Sydney et hommes des autres régions. De même, le degré de contact avec l’épidémie, la durée de la relation et l’importance des relations sexuelles anales étaient également sans rapport avec le succès de la négociation. Cependant, étant donné la petite taille de l’échantillon et le manque de pouvoir associé du test statistique, une certaine prudence s’impose ici. Bien que non statistiquement significative, la pratique de pénétrations anales non protégées était plus probable chez les hommes qui vivaient dans les zones fréquemment associées à la communauté gay de Sydney.

D’autres études avec de plus grands échantillons sont donc nécessaires. Ces études devraient être prospectives et, idéalement, devraient inclure les deux partenaires qui conclut un accord de sécurité négociée. Des études prospectives examinant les taux de séroconversion chez ceux qui avaient négocié des accords de sécurité constitueraient le test le plus stricte de sécurité d’une telle stratégie d’évitement de transmission du VIH.

Discussion des résultats

La sécurité négociée n’est pas une stratégie rare ou peu fréquente, mais une stratégie adoptée par une proportion importante d’hommes, au moins parmi cette cohorte d’hommes homosexuels, et les conclusions de cette étude doivent être replacées dans le contexte d’un échantillon gay de Sydney avec une forte communauté gay. En outre, les résultats ont été obtenus dans un contexte où le niveau de dépistage est élevé. Par ailleurs il est reconnu que d’autres pratiques, telles que l’injection de drogues par exemple, peuvent transmettre le VIH, mais cette étude ne se préoccupe que de la transmission sexuelle.
Il est important de noter, toutefois, que la stratégie de sécurité négociée n’est pas totalement exempte de risques. Pour les hommes engagés dans des relations non-monogames qui concluent des accords concernant la protection des relations sexuelles anales avec des partenaires occasionnels il existe un risque car une faible proportion des hommes de cette étude ont omis de conserver cet accord. En outre, bien que non examiné ou discuté dans cette étude, il pourrait y avoir un très faible risque lié aux accords qui ne découragent pas les relations oraux-génitales avec des partenaires occasionnels.

Les conclusions d’un certain nombre d’études montrent par ailleurs que de « larges » minorités d’hommes se passent de préservatifs au sein de leurs relations régulières. Il existe également des preuves que la transmission du VIH peut se produire au sein des relations régulières. Ainsi, bien que les conclusions de la présente étude indiquent que les accords négociés en matière de sécurité peuvent être et sont conservés, il est clair qu’ils ne sont pas maintenus tout le temps. Cette stratégie de sécurité négociée pourrait être plus largement utilisée avec succès si des campagnes d’éducation, qui traitent des questions d’honnêteté, de confiance, et de dialogue pouvaient être mises en œuvre. Il est impératif que les accords se sécurité négociée soient clairs et sans ambiguïté et que la confiance ne doit pas être trahie.

Bien que n’étant pas étudiés ici, des hommes engagés dans des relations régulières concordantes séropositives se passent également de préservatifs. Cette stratégie a elle aussi besoin d’être étudiée, en particulier parce que son adoption entraîne un risque de transmission de l’infection entre les partenaires sexuels à la fois au sein et en dehors de toute relation régulière concordante séropositive.

 

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