ARTICLES / ÉPIDÉMIOLOGIE

PrEP en soins primaires : un élargissement d’accès sans réelle diversification des publics

par | 21.04.2025

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Depuis juin 2021, tous les médecins, y compris les généralistes, peuvent initier une PrEP en France. Une étude nationale publiée dans The Lancet Public Health (avril 2025) dresse un premier bilan sur les impacts de cette réforme. Si le nombre de prescriptions a augmenté, les profils des utilisateurs restent globalement inchangés, soulevant des questions cruciales sur l’inclusivité des politiques de prévention.

Contexte : vers une démocratisation de la PrEP ?

Depuis son autorisation en France en 2016, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH a largement démontré son efficacité. Néanmoins, comme nous l’avons analysé à plusieurs reprises sur reactup.fr, la couverture PrEP est restée limitée à des publics spécifiques : principalement des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), vivant en zones urbaines, et disposant d’un bon niveau de capital social et sanitaire. L’une des barrières identifiées était l’obligation, jusqu’en 2021, de passer par des spécialistes hospitaliers ou des centres de santé sexuelle pour initier une PrEP.

La réforme de juin 2021, autorisant tous les médecins à prescrire la PrEP en initiation, visait à lever ces freins structurels. L’étude menée par EPI-PHARE, en collaboration avec le CHU de Nice, analyse les effets de cette extension sur une période de 19 mois (juin 2021 – décembre 2022), à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS), couvrant près de 99 % de la population française.

Méthodologie : une cohorte nationale en vie réelle

L’étude a inclus l’ensemble des personnes âgées de 15 ans ou plus ayant initié une PrEP dans un cadre de soins primaires (hors hôpital et centres de santé sexuelle) entre juin 2021 et décembre 2022, soit 13 500 individus. L’analyse s’est portée sur les caractéristiques sociodémographiques des utilisateurs, celles des prescripteurs, les modalités d’accès, le suivi biologique, ainsi que les renouvellements sur les 6 mois suivant l’initiation.

Résultats : un accès élargi mais une équité toujours absente

Hausse progressive des initiations

Le nombre moyen de primo-prescriptions mensuelles a augmenté de 654 à 783 entre le second semestre 2021 et le second semestre 2022 (+20 %), avec un pic notable en septembre-octobre 2022, coïncidant avec la campagne de vaccination contre le mpox. Ce pic n’a cependant pas perduré.

Profil des utilisateurs : une continuité problématique

Les profils des usagers restent proches de ceux documentés avant l’ouverture aux soins primaires :

  • 96,3 % sont des hommes ;
  • Âge moyen : 36 ans ;
  • 71 % vivent dans des villes de plus de 200 000 habitants ;
  • Seulement 7,5 % sont en situation de précarité (couverture complémentaire solidaire).

Malgré les ambitions d’élargissement, la PrEP continue donc de toucher un public très ciblé, en contradiction avec les données épidémiologiques récentes. En 2022, les femmes représentaient 31 % des nouvelles infections à VIH, dont 97 % via transmission sexuelle — mais elles ne représentent que 3,7 % des initiations de PrEP en soins primaires.

Les territoires ultra-marins, pourtant parmi les plus touchés par le VIH, restent très en retrait : à peine 1,3 % des initiations en soins primaires s’y déroulent.

Prescripteurs : un rôle central des généralistes… mais en dehors du lien de soins

88,6 % des prescriptions initiales ont été faites par des médecins généralistes, c’est-à-dire 4 542 prescripteurs sur 5 125. Toutefois, seulement 44,7 % l’ont été par le médecin traitant du patient. Cela témoigne d’une réticence persistante à aborder la sexualité dans le cadre du soin généraliste. D’autres travaux confirment ce malaise : plus de la moitié des usagers déclarent ne pas vouloir évoquer leur sexualité avec leur généraliste.

Suivi et observance : une dynamique mixte

Sur les 8 783 initiateurs inclus pour le suivi à 6 mois, 70,8 % ont renouvelé au moins une fois la PrEP, avec une moyenne de 3,3 renouvellements. Environ 22 % ont effectué cinq renouvellements ou plus, indiquant une utilisation continue. Toutefois, la majorité semblent opter pour un usage « à la demande », déjà observé dans l’étude ANRS PREVENIR (2022) avec près de 50 % des usagers.

Interprétation : l’accès ne suffit pas

L’ouverture de la prescription aux soins primaires a bien produit un effet quantitatif. Mais l’effet qualitatif attendu — diversification des profils, inclusion des femmes, des personnes précaires, des habitants des territoires ultra-marins ou ruraux — n’est pas encore au rendez-vous.

L’étude confirme des enjeux que nous avons déjà documentés sur reactup :

  • La formation des médecins généralistes sur les enjeux de sexualité et de prévention est encore insuffisante.
  • Le malaise des patients face à l’évocation de leur vie sexuelle avec leur médecin traitant constitue un frein majeur.
  • Les inégalités territoriales en matière d’offre de soins, mais aussi de campagnes de sensibilisation, restent criantes.
  • L’identification des personnes cibles (trans, travailleurs du sexe, migrants récents) est rendue difficile par l’absence de données fines dans le SNDS, limitant les analyses épidémiologiques.

Pour une stratégie de santé publique réellement inclusive

La réforme de 2021 constitue une avancée structurelle majeure. Mais elle ne peut suffire à elle seule à résoudre les enjeux d’inclusion. Les auteurs suggèrent plusieurs pistes : formation renforcée, mobilisation de la téléconsultation, actions ciblées en outre-mer, repérage précoce des publics vulnérables.

Sur reactup.fr, nous plaidons de longue date pour une approche pragmatique de la PrEP coordonnée avec les personnes les plus exposées, croisant épidémiologie, droits sexuels et analyse des déterminants sociaux de santé. Cette étude valide la pertinence d’une telle stratégie : l’ouverture juridique ne suffit pas sans action politique volontariste, adaptée aux réalités vécues des populations exposées.

Source

Sophie Bamouni et al., « Effect of extending PrEP initiation to primary care settings : a nationwide cohort study in France », The Lancet Public Health, publié en ligne le 8 avril 2025 (consultable ici)