Le méningocoque et le gonocoque sont deux bactéries proches responsables respectivement des infections systémiques sévères et/ou sexuellement transmissibles. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) sont à risque élevé pour contracter ces infections. Des structures communes à ces bactéries peuvent être ciblées par des anticorps protecteurs ouvrant la possibilité de développer des vaccins actifs simultanément contre les deux bactéries.
Rappels cliniques et épidémiologiques :
Les infections à Neisseria gonorrhoeae (gonocoque) sont souvent locales et correspondent à des infections sexuellement transmissibles. Elles sévissent dans le monde entier et sont responsables d’une morbidité élevée et de séquelles pouvant conduire à la stérilité. Leur incidence est en augmentation. De plus, des souches multi-résistantes aux antibiotiques actuellement recommandées dans leur traitement sont détectées. Cela fait redouter l’accès du gonocoque au statut de super-germe « superbug » sans traitement antibiotique possible [1].
Neisseria meningitidis (méningocoque) réside habituellement dans la gorge (portage asymptomatique) et se transmet par voie aérienne via des gouttelettes de salive. Il a été décrit récemment que certaines souches du méningocoque étaient capables de s’adapter à la voie génito-urinaire grâce à leur capacité à croitre sans oxygène comme le gonocoque. Ces souches sont capables de transmission sexuelle. Le méningocoque semble donc mimer le style de vie du gonocoque [2]. Cela entraine le risque de co-infection et donc l’échange génétique entre ces deux bactéries. Ainsi des gènes de résistance aux antibiotiques peuvent être transférés du gonocoque au méningocoque comme cela a été observé récemment en France [3].
Le méningocoque (mais pas le gonocoque) est entouré d’une capsule de composition polysaccharidique qui détermine son sérogroupe, mais le gonocoque en est dépourvu. Il y a 12 sérogroupes actuellement décrits pour le méningocoque dont 6 (A, B, C, W, Y et X) sont responsables de la grande majorité de la maladie dans le monde.
Les infections invasives méningocoque (IIM) sont dominées par les méningococcémies (la bactérie envahit le sang) et par les méningites (la bactérie envahit le liquide cérébrospinal, LCS). Il s’agit des infections sévères à évolution rapidement mortelles et peuvent aussi laisser des séquelles importantes chez les survivants. Les facteurs de risque pour développer une IIM correspondent à la combinaison de trois types de facteurs : D’abord des facteurs liés aux souches bactériennes, ensuite des facteurs liés à l’hôte et en fin des facteurs externes dont certains sont liés à l’environnement. Parmi les facteurs médicaux de l’hôte, il faut mentionner les greffés des cellules hématopoïétiques, les sujets aspléniques, les déficits immunitaires en complément (héréditaires ou acquis) et le statut VIH+. Chez les personnes infectées par le VIH, un faible nombre de CD4 ou une charge virale élevée ont été associés à un risque accru d’IIM [4]. D’autres facteurs de l’hôte sont liés à l’activité sexuelle. Ainsi, Les HSH sont à risque pour des IIM en plus des infections génito-urinaires.
Vaccins et vaccinations contre le méningocoque
La capsule du méningocoque constitue une cible vaccinale idéale (une structure abondante et accessible à la surface de la bactérie). C’est à partir des antigènes capsulaires que sont fabriqués les vaccins actuels contre les méningocoques des sérogroupes A, C, Y et W. Pour augmenter la capacité des vaccins capsulaires à induire la production des anticorps, l’antigène capsulaire (composé de polymère saccharidique) est associé à une protéine porteuse, vaccins conjugués, qui sont de deux types :
- Les vaccins conjugués monovalents (les vaccins conjugués contre le sérogroupe C et le vaccin conjugué contre le sérogroupe A).
- Les vaccins conjugués tétravalents contre les sérogroupes A, C, W et Y.
La capsule B est peu immunogène car elle est similaire à un antigène du soi ce qui empêche son utilisation comme vaccin. La première génération des vaccins contre les souches du méningocoque B sont des préparations de vésicules de membrane externe de la bactérie : (vaccins OMV pour outer membrane vesicule). Des avancées scientifiques majeures ont abouti ensuite à une nouvelle génération de vaccine contre le méningocoque B. Ici ce n’est donc pas la capsule qui est visée par la réponse immune induite par ces vaccins mais des protéines bactériennes sous la capsule et dans la membrane externe de la bactérie. Deux vaccins ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) :
- Le premier vaccin (4CMenB/Bexsero®) contient essentiellement 4 protéines : Un variant (le variant 1) de la protéine de liaison au facteur H humain (fHbp), un variant de la protéine de liaison à l’héparine chez Neisseria (NHBA) et l’adhésine A de Neisseria (NadA)] ainsi qu’un composant OMV (MeNZB) contenant la protéine PorA P1.4. Ce vaccin a obtenu l’AMM en 2013 (utilisable à partir de l’âge de 2 mois)
- Le deuxième vaccin (vaccin Bivalent LP2086, Trumenba®) contient deux variants d’une même protéine (fHbp). Ce vaccin a obtenu l’AMM en 2017 (utilisable à partir de l’âge de 10 ans).
En France, la stratégie actuelle de vaccination contre le méningocoque est la suivante :
Méningocoque C :
- Vaccination obligatoire à 5 mois suivi d’un rappel à 12 mois
- Un rattrapage 1 dose pour tous les sujets entre 2 ans et 24 ans.
Méningocoques ACWY :
- Vaccination de chez les sujets contacts d’un cas, les autres sujets à risque (voir plus haut) et dans des situations spécifiques (cas groupés et épidémies).
- Si le risque est durable, il faut un rappel tous les 5 ans.
Méningocoque B :
- 4CMenB : Vaccination de chez les sujets à risque et dans des situations spécifiques (cas groupés et épidémies).
La réponse à la vaccination chez les sujets a risque comme les sujets infectés par le VIH est moins optimale que chez les sujets non-infectés. Il est donc nécessaire d’adapter le schéma vaccinal chez ces sujets. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, les personnes âgées de 2 ans et plus infectées par le VIH et qui n’ont pas été vaccinées auparavant devraient recevoir une primovaccination de 2 doses de vaccin conjugué MenACWY à 8 semaine d’intervalle. Ensuite, une dose rappel doit être administrée une fois tous les 5 ans [5].
Vaccins et vaccinations contre le gonocoque
Actuellement, il n’existe pas de vaccins disponibles contre le gonocoque. Cette bactérie n’est pas capsulée et les protéines à sa surface sont extrêmement diverses et variables entre les différentes souches. Le contrôle de la gonococcie est de plus en plus problématique à cause de la dissémination de la résistance aux antibiotiques.
La proximité génétique entre le méningocoque et le gonocoque a poussé à chercher les homologies entre les antigènes du vaccin 4CMenB et les antigènes du gonocoque. Cette analyse in silico a permis de montrer que deux antigènes du 4CMenB, fHbp et NHBA, partagent des homologies de l’ordre de 95% au niveau de la composition en acide aminé. Mais cela ne peut pas prédire le niveau de leur expression et leur localisation à la surface du gonocoque [6]. Cependant, les anticorps induits par le vaccin 4CMenB sont capable d’interagir avec le gonocoque et en particulier avec l’homologue de la protéine NHBA du vaccin 4CMenB [7]. Ces observations ont été confortées par des données de terrain en Nouvelle Zélande. Après l’utilisation d’un vaccin de type OMV contre le méningocoque B (le MeNZB qui fait partie du vaccin 4CMenB), une efficacité estimé contre le gonocoque à 31% a été observée [8].
Des questions restent ouvertes : Est-ce que les anticorps induits par le 4CMenB sont bactéricides contre le gonocoque ? [9]
De plus, après l’augmentation des cas d’infections génito-urinaires à méningocoque et à cause de la proximité génétique entre gonocoque et méningocoque, il est crucial de confirmer rigoureusement l’indentification bactériennes (méningocoque ou gonocoque) dans ces infections.
Néanmoins, Ces résultats sont encourageants car c’est la première fois qu’un vaccin a montré une protection quelle qu’elle soit contre la gonorrhée.
Notes de l'article :
[2] M. K. Taha et al., PLoS One 11, e0154047 (2016).
[3] A. E. Deghmane, E. Hong, M. K. Taha, J Antimicrob Chemother 72, 95 (Jan, 2017).
[4] L. Miller et al., Ann Intern Med 160, 30 (Jan 7, 2014).
[5] J. R. MacNeil, L. G. Rubin, M. Patton, I. R. Ortega-Sanchez, S. W. Martin, MMWR Morb Mortal Wkly Rep 65, 1189 (Nov 04, 2016).
[6] R. Hadad et al., APMIS 120, 750 (Sep, 2012).
[7] E. A. Semchenko, A. Tan, R. Borrow, K. L. Seib, Clin Infect Dis, (Dec 14, 2018).
[8] H. Petousis-Harris et al., Lancet 390, 1603 (Sep 30, 2017).
[9] P. T. Beernink et al., J Infect Dis 219, 1130 (Mar 15, 2019).
Source :
Article écrit par le Dr Muhamed-Kheir Taha, Unité des infections Bactériennes Invasives, Institut Pasteur, Paris, France pour REACTUP.fr
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