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Test and treat, les conditions d’un infléchissement de la transmission du VIH

par | 07.04.2014

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Test-and-Treat à Los Angeles : une modélisation mathématique des effets de « test and treat » sur la population d’hommes ayant du sexe avec des hommes dans le comté de Los Angeles

Le constat a été fait depuis pas mal de temps que le traitement antirétroviral des personnes séropositives permettait une réduction du risque de transmission du VIH. Partant de là, il devient intéressant d’évaluer à quelles conditions le dépistage et la mise sous traitements des séropositifs devient une stratégie suffisamment efficace pour réduire voire, comme le prédisent certains, éliminer l’épidémie de sida. Cette stratégie, dite « test-and-treat » en anglais a déjà fait l’objet de plusieurs évaluations et certains projets de recherche à plus grande échelle ont été lancés. Mais ils ne concernent que trop peu la population des hommes ayant du sexe avec des hommes (HSH). C’est ce qui a conduit un groupe de chercheurs de l’université de Los Angeles en Californie et du centre Schaeffer de politique de la santé à étudier à l’aide d’une modélisation mathématique l’impact de telles politiques sur la population gay du comté de Los Angeles.

NDLR : La stratégie « Test and Treat » est une action de santé publique qui consiste à mettre en place une politique de dépistage systématique et de mise sous traitement systématique des séropositifs. Les paramètres d’une telle politique sont essentiellement ceux de la fréquence des tests et du délai de mise sous traitement. Elle a pour objectif, outre de prendre soin des personnes séropositives, de compter sur l’effet préventif du traitement des séropositifs pour réduire le nombre de nouvelles contaminations.

La particularité de mener cette étude sur le comté de Los Angeles est que les HSH y représentent 82% des personnes vivant avec le VIH. L’objectif de l’étude était de voir comment les paramètres de fréquence de dépistage et de délai à la mise sous traitement pouvaient influer l’efficacité de la stratégie. Par ailleurs, la question de l’émergence de virus résistants a aussi été posée.

Un modèle mathématique a été construit afin de répondre aux questions posées. Pour calibrer ce modèle, les données épidémiologiques et comportementales recueillies deux fois par an sur dix ans (entre 2000 et 2009) ont été utilisées. La calibration du modèle partait de la situation actuelle considérant la mise sous traitement dès que les lymphocytes CD4 passaient sous le seuil de 350/mm3. Les simulations ont consisté à faire varier la fréquence des dépistages et le temps séparant le diagnostic positif de la mise sous traitement. Les données produites par le modèle montrent le nombre de nouveaux diagnostics, de personnes sous traitement ainsi que le nombre de nouvelles contaminations, de cas de sida et de décès et la proportion de virus résistants aux traitements.

Résultats

La stratégie la plus agressive, celle qui prévoit un dépistage annuel et une mise sous traitement au bout de six mois, augmente les nouveaux diagnostics de 114% et les personnes sous traitement de 156% la première année. En retour, cette stratégie provoque une réduction de 47% des nouvelles infections, de 64% des nouveaux cas de sida et un recul de 28% de la mortalité au bout de 10 ans. Dans le même temps le modèle fait apparaître un triplement du nombre de personnes vivant avec un VIH multirésistants aux antirétroviraux, soit 13,7% de l’ensemble.
La stratégie la moins agressive, celle qui consiste à dépister tous les 4,4 ans et à initier le traitement après 2 ans et demi (en fait un changement minime des recommandations actuelles), conduit tout de même à 6% de réduction des nouvelles infections, 11% des cas de sida et 6% de baisse de la mortalité. Les personnes porteuses de virus multirésistants n’augmentent que de 1,3%.

Ce que montrent aussi les résultats, c’est que les deux mécanismes, le dépistage et la mise sous traitement, ne sont pas complémentaires. On observe en gros un bénéfice identique en augmentant la fréquence de dépistage quel que soit le délai de mise sous traitement et vice-versa. Par ailleurs, en ne changeant pas les règles actuelles de mise sous traitement et en n’agissant que sur la fréquence de dépistage, on n’obtient que la moitié du bénéfice escompté tandis que l’émergence de virus résistants reste stable.

Pour ce qui est de la réduction du risque de transmission du VIH sous traitement, la valeur utilisée dans cette simulation était de 96%. D’autres simulations faites notamment avec une réduction de 50% montrent que cela n’a qu’une faible influence sur les résultats finaux.

Discussion

Ce que montre cette simulation c’est que la stratégie de « Test and Treat » est capable de réduire substantiellement l’épidémie chez les HSH sans pour autant l’éliminer. Dans ces résultats, le bénéfice de la stratégie semble être contrebalancé par une augmentation des souches de virus résistants aux traitements. Cela ne remet pas en cause pour autant le bénéfice en terme épidémiologique. Par ailleurs, de nombreux paramètres sont susceptibles d’influer sur ce résultat, notamment l’émergence de nouveaux traitements.

Bien entendu, ces résultats ne valent que ce que valent tous les modèles mathématiques et sont soumis à la justesse et à la précision des données recueilles pour calibrer ce modèle. Il n’a pas non plus été ajusté par tranche d’âge, ethnicité ou type de risque. Il ne tient pas non plus compte du potentiel bénéfice de l’utilisation de PrEP mais il ne prend pas en compte non plus d’éventuelles modifications de comportement qui pourraient résulter de la stratégie comme une augmentation de comportements à risque du fait d’une moindre transmission ou bien une adhérence au traitement plus ou moins grande.

Il s’agit néanmoins d’indications pour de futures recherches permettant d’affiner les choix en matière de politique de santé.

Source :
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Les premiers résultats de l’étude Partner ont donné, en matière de risque individuel, un signal fort : on ne transmet pas son virus lorsqu’on est sous traitement antirétroviral qui marche. C’est oublier un peu vite les conditions dans lesquelles l’essai a été mené. Ceux qui ont cru qu’on venait de découvrir la solution à tous nos problèmes oublient juste qu’on n’a pas attendu ce résultat pour mettre les séropositifs sous traitement et qu’il y a toujours 6500 nouvelles contaminations par an.
Dès lors, nous avons voulu réinterroger les conditions qui permettraient de transformer le paysage. Cette publication date de juin 2013, donc avant les résultats de Partner, ce qui explique certaines hypothèses utilisées. Elle montre bien qu’il ne suffit pas de savoir à quelles conditions les séropositifs ne seraient pas contaminant pour obtenir une baisse de l’épidémie, il faut des efforts de mobilisation tant en matière de dépistage que de prise en charge médicale.
Et encore, il s’agit d’une projection mathématique qui, comme le rappellent les auteurs, exclue certains paramètres et non des moindres, comme les éventuelles modifications de comportement (plus de risque) qui pourraient survenir dans un contexte où on se croirait protégés par la seule mise en place de la stratégie.
Dans un prochain article nous essaierons de voir ce que représentent les conditions épidémiologiques françaises par rapport à une telle stratégie.