Publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 23 octobre 2012, une étude fait le point sur le risque résiduel de contamination des lots de sang observé dans le contexte actuel d’exclusion du don du sang (« ajournement », selon la terminologie officielle) des HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), puis tente de calculer l’impact potentiel d’une inclusion de ceux-ci selon une stratégie « proche de celle appliquée aux hétérosexuels » (à une nuance près cependant, puisque les dons des hétérosexuels sont soumis à la condition de ne pas avoir eu plus d’un partenaire dans les 4 derniers mois, alors que la mesure imaginée pour les HSH dans cette étude exige d’eux qu’ils n’aient pas eu plus d’un partenaire dans les 12 derniers mois). Cette stratégie est censée, selon les auteur-e-s, faire preuve d’un plus grand réalisme que les autres stratégies étudiées jusqu’ici (avec respectivement des conditions de 1,5 à 10 années d’abstinence avant le don).
Le calcul proposé mesure donc l’impact de la nouvelle stratégie, et ce à partir de l’incidence observée chez les donneurs HSH actuels (donneurs HSH n’ayant pas déclaré leurs relations homosexuelles avant le don et dépistés positifs), ainsi qu’à partir de l’incidence observée chez les HSH en population générale (1% selon les chiffres de 2008).
D’après les données relevées entre 2008 et 2010 chez les donneurs réguliers (80% des dons), 28 séroconversions ont été observées, dont la moitié chez des HSH qui ne s’étaient pas déclarés comme tels. Ces chiffres impliquent une estimation du risque résiduel de contamination des dons de 1 pour 2 900 000 dons. En imaginant la mise en place du dispositif d’inclusion des HSH proposé, et selon l’incidence envisagée, le risque résiduel potentiel est estimé dans une fourchette comprise entre 1 à 4 fois le risque actuel (soit entre 1 pour 3 500 000 dons pour l’estimation la plus optimiste à 1 pour 700 000 dons pour l’estimation la moins optimiste).
Au vu de ces résultats, les auteur-e-s préconisent la poursuite de l’ajournement des HSH du don du sang, le risque résiduel étant selon eux trop élevé dans ces estimations. Cependant, ils font état de la situation britannique, qui leur paraît être une solution envisageable. En Grande-Bretagne en effet, les HSH sont autorisés à donner leur sang avec une condition d’abstinence d’un an avant le don. Cette mesure se base sur des études ayant conclu à une très faible augmentation du risque résiduel selon ces conditions.
Notons que des inconnues demeurent, qui pourraient donner lieu à une discussion de ces préconisations. Les auteur-e-s mobilisent eux-mêmes un certain nombre d’éléments issus du débat de société autour de l’exclusion des HSH du don du sang. Tout d’abord, on peut questionner l’efficacité du système actuel à l’aune du nombre de HSH donnant actuellement leur sang malgré l’interdiction, lesquels représentent aujourd’hui la moitié du risque résiduel de contamination des lots. De plus, le calcul envisagé ne tient pas compte d’un éventuel changement d’attitude des HSH face au don du sang dans un contexte où celui-ci leur serait ouvert (selon une hypothèse optimiste, les HSH, ne percevant plus la mesure comme discriminante, observeraient une conduite très précautionneuse vis-à-vis du don, en n’y recourant pas après des pratiques à risques ; selon une hypothèse pessimiste, au contraire certains HSH pourraient considérer l’ouverture du dispositif comme une opportunité de dépistage, ce qui donnerait alors lieu à une « situation dangereuse » du point de vue épidémiologique). Enfin, la solution britannique est-elle réellement envisageable et réaliste, lorsque l’on sait que la population cible des donneurs est avant tout constituée des jeunes adultes ? Combien d’individus seront concernés par une ouverture du don avec une condition d’abstinence aussi draconienne ?
On peut donc, et malgré les chiffres avancés par les auteur-e-s, s’interroger sur la pertinence d’un profilage des donneurs selon des critères d’exclusion absolus et basés sur la déclaration de pratiques passées, extrapolées comme induisant nécessairement un risque de la part du donneur. Ces critères sont depuis longtemps dénoncés comme discriminants par les associations homosexuelles, car faisant l’amalgame très classique entre pratiques à risques et populations à risques. De même, la communication réalisée actuellement autour du don du sang ne valide-t-elle pas l’idée, parmi les hétérosexuel-le-s, que leurs pratiques seraient nécessairement safe, à condition de ne pas avoir « trop » de partenaires sexuels ? Ne gagnerait-on pas, au fond, à un système d’exclusion du don du sang basé sur l’ensemble des pratiques à risques, sans considération d’orientation sexuelle, et impliquant une remobilisation des individus autour de la prévention ? Les chiffres avancés dans cette étude ne sont-ils pas à relativiser à la lumière de ces inconnues, et de l’éventuelle transformation du rapport des donneurs au dispositif de don ? Autant de questions qui devraient faire l’objet d’un véritable débat, auquel s’est toujours refusé l’Etablissement français du sang (EFS), opérateur du don du sang en France [1].
Notes de l'article :